Ceux qui continuent à raison à penser que le processus Tunisien est de type foncièrement révolutionnaire doivent sans doute avoir de ces craintes pesantes que la révolution a aujourd’hui plus d’ennemis qu’elle ne pensait pouvoir en avoir en si peu de temps.Les élections du 23-10-2011 ne lui avaient sans doute pas porté appui, comme le voulaient bien d’ailleurs les ‘manigances’ des vieilles routes. A vrai dire, plutôt que l’espoir, c’est la dèche qui se généralise et des discours de tout bois. L’État défait ses actes et, pire, s’en veut à ceux des autres; à une opposition qui n’est hélas que de paille burlesque.
A allier mensonges et promesses, cupidité et dédain, l’État, tout État qu’il est, sème en tout pas du vent et il n’est qu’évidence première qu’il ne récoltera que tempête.
Ce que les acteurs politiques de ce bord noir comme de ce côté si incolore semblent ignorer, c’est justement qu’une révolution ne se fait que pour le peuple et non contre sa volonté et, pire, contre lui. Et j’avoue le dire avec plus d’un serrement de voix ou de cœur: Ce peuple a besoin de changements réels et il n’est du droit de personne au monde de l’en priver, et de quel droit?
Les démunis, les pauvres, les marginaux et bien entendu tout nécessiteux et sous quelque forme n’ont de patience pour supporter davantage ni surtout de temps à perdre. et il n’y a même à s’étonner que la question n’est pas pour eux, naturellement, d’ordre politique. Elle est et restera toujours d’ordre socio-économique. Le reste, c’est souvent, voire toujours pour la petite bourgeoisie et, en plus concret, pour la Réaction féodale, bourgeoise ou tout bonnement bougrement mercantile.
Cette différence de moyens et de méthode – le verbe de l’opposition somme toute petite bourgeoise et l’action réactionnaire – est d’emblée inégale. La petite bourgeoisie n’a que les moyens de ses textes, la grande ses relais de mensonge et de corruption.En ce sens, sans le peuple, l’opposition s’embourgeoisant de tentations, ne vaut que le prix de son encre. l’Histoire nous a toujours appris qu’il n’y de plus têtu que les faits. La Tunisie en révolution nous en apprend davantage. Qui a accepté le gouvernement Ghannouchi Ier? Celui de Beji? Et encore celui de Ghannouchi II? C’est encore cette même opposition de tout pèle et de tout mêle. Car le peuple ne fait somme toute que subir ces arrogances intéressées. Ceux qui ont voté; à commencer pour la Nahdha demeurent, qu’on le veuille ou le réfute, minoritaires aux comptes justes. Non pas que les élections étaient faussées mas bien parce que les conditions générales ne s’y prêtaient pas en l’absence de partis viables, de coalitions durables; voire tout simplement à défaut de partis autres que ceux-là mêmes qui n’ont jamais su peser sur la scène publique.
Par manque de lucidité politique, l’opposition se maintient émiettée, l’État, pire, se donne à ses seuls appétits et fait absolument preuve d’incapacité gestionnaire. On a beau chercher motifs dans l’idéologie, le mal est bien dans la politique. Sinon, comment expliquer ce fait que l’État va jusqu’à maltraiter les martyrs et les blessés ou leurs familles et, au moins des deux tiers d’une année, jusqu’à vouloir interdire les manifestations. C’est tout simplement de la nullité politique; y compris pour l’intérêt même de la Troïka. Tout autre état aurait donné priorité; y compris par pragmatisme primaire, à ces urgences et aurait sans doute jugé utile de veiller à quelque symbolique de la révolution.
Pas même cela.
Comment expliquer qu’un membre de la constituante (La vice-présidente),en cette même Tunisie d’à peu près 20% de chômeurs – sans compter la plupart des femmes non inscrites sur les listes pour n’avoir jamais travaillé ailleurs qu’à leurs domiciles – perçoive 10600T/mois plus une voiture de fonction, des primes et 200 litres d’essence/mois en un pays où le Smic est aux alentours de 250DT; soit donc plus de 40 fois le Smic?
ET, mieux, pas un membre de la constituante ne juge juste ; y compris par éthique, de réduire le salaire des constituants; à quelques 16 ou 18 fois le Smic; table rase faite des indemnités et avantages? Bien au contraire, nombreux défendaient l’augmentation et bien plus nombreux encore ceux qui réclamaient l’indemnisation. Peut-on un instant croire que cette politique puisse être à au moins quelques centaines de kilomètres des préoccupations des ‘dits’ citoyens? Les observateurs auraient aussi noté que pas un membre de l’opposition n’a porté voix contraire à ces faits à la constituante. Au même moment, les ouvriers temporaires et des chantiers, par milliers, ne perçoivent même pas ce minable salaire de 200DT ou ne le perçoivent que par facilité et au bout de 2 mois d’attente.
Quel État ou opposition au monde parlent en 9 mois autant et font si peu, en dehors de leurs incessants abus?
ET puis, la scène ne cesse de faire montre de ses acteurs dérangeants et dérangés. Les coupures d’eau et d’électricité précèdent le choléra et la peste et, encore, gouvernement et opposition, plongent dans les mots, les phrases, les paragraphes et les textes comme toujours de bois.
L’avenue H. Bourguiba, symbole de cette révolution, est désormais interdite aux manifestants comme s’il ne fallait que quelques semaines pour que l’État passe à l’acte le plus contraire à sa propagande et surtout aux ambitions de ce même peuple et de ses masses assoiffées de vérité et de justice.
Dans ce même contexte, la manifestation se banalise, comme si chaque mouvance semble vouloir marquer un territoire rien que pour exister à défaut de vivre. Or, il n’y d’action qui compte ou pèse que celle des masses populaires.
En cet état de fait, seule l’UGTT paraît en mesure de mobiliser assez de monde pour maintenir quelque cap de crédibilité.
Il n’y a en effet de société qui change sans bouger mais sans doute jamais dans autant d’émiettement. La politique tunisienne officielle ou d’État ne perd pas le pas mais bien la tête. L’un s’empresse à interdire, l’autre à ne faire que dire!
Dans ce même contexte aussi, l’utopie allume ses chandelles, car bien de ces hommes et femmes ‘révolutionnaires’ continuent de déserter le monde des partis, les trouvant, de doctrine, inutiles. C’est encore un paradoxe permanent.
La situation demeure en tous cas préoccupante et les conditions sociales et économiques de nature à motiver un deuxième élan. Il y a juste qu’il y a lieu et de toute part à une politique autre que celle de l’aveuglement. La Tunisie ne vaincra ses craintes qu’en ayant appris la leçon: l’acte 2 aura d’abord à s’opposer à l’opportunisme en tout camp et à croire davantage au poids réel et fort nécessaire de l’UGTT. La révolution des avocats a balayé le chemin qu’elle bloque. Celle des chômeurs, ouvriers, paysans, petits fonctionnaires, élèves et étudiants sera sans doute de meilleure augure. Et elle aura saison.