Sans se perdre dans les dédales des concepts et des théories, nous pouvons dire que le sens que donnent aujourd’hui beaucoup de tunisiens à leur révolution est qu’elle représente une explosion libératrice de nouvelles dynamiques politiques populaires, jadis opprimées, dont l’activité devrait conduire à la mise en place d’un système politique et moral qui garantira aux citoyens la liberté, l’égalité des chances et la dignité, tout en redonnant au sens de l’État toute sa valeur positive. Or il existe quatre dangers qui guettent ce rêve révolutionnaire très légitime des tunisiens.Le premier est que certaines forces travaillent aujourd’hui politiquement et intellectuellement dans le sens de la destruction de l’idée même de la révolution, notamment en essayant d’insinuer aux tunisiens, parfois par des moyens techniques, le sentiment que finalement cette révolution n’a pas eu lieu, même ne devrait pas avoir lieu, et que si le régime Ben Ali était tombé c’était tout simplement parce que le président, peureux comme il était, « s’est fait avoir », et que ce n’était pas parce que le peuple a décidé de mettre fin au régime en place que la révolution tunisienne a réussi. Celle serait plutôt le résultat de fautes techniques.
Le deuxième danger est que le gouvernement en place semble user de tout son poids « invisible » pour minimiser au maximum les pertes de ceux considérés comme les perdants de la révolution. Et ceci non pas pour des raisons économiques –qui pourraient être admises lorsque bien expliquées- mais pour des raisons essentiellement politiques, de clientélisme et d’électorat. Les dossiers de l’audio visuel et de ceux des ministères de la Justice et de l’Intérieur sont là pour en témoigner.
Le troisième est cette difficulté qu’éprouve l’ancienne élite politique, ayant gouverné le pays pendant plus de deux décennies, à céder la place à de nouveaux acteurs, issus de son sein ( nouveaux destouriens !) non éclaboussés par tout ce dont l’ancien régime a été responsable, et capables de déclarer tout haut leur ferme désolidarisation avec l’ancien régime, et leur prédisposition à épouser les valeurs de la révolution –esprits et comportement. Cela est particulièrement dangereux parce qu’il rend le passage vers une Tunisie démocratique et libre plus couteux socialement et politiquement.
Le dernier est qu’une partie des forces politiques en course vers le pouvoir le veut pour elle, dans le sens où elle veut imposer à tout le monde, sans relativisme aucun, sa conception religieuse et politique, et n’arrive pas à dissocier, dans sa représentation du politique, le projet révolutionnaire de la construction d’un Etat moderne et démocratique de sa conception holiste religieuse du monde, suscitant ainsi chez une grande partie du peuple une peur noire d’un avenir où la notion de citoyen disparaîtra devant la notion de croyant.
Que tous ceux qui travaillent contre la révolution, pour que tout reste en place morale et intérêts, pensent un peu à des alternatives plus nobles qui leur permettront de se trouver, le jour de la réconciliation nationale, du côté de ceux qui mériteront le pardon. Que tous ceux qui croient en cette révolution restent vigilants et doublent encore leur effort de travail pour faire réussir le tour de force historique par lequel passe aujourd’hui notre pays, si beau et dont on est si fier.
Par: Mouldi Lahmar (Université de Tunis)