Bien des théoriciens anchronologiques de la Révolution tomberont de leurs ‘nues’ à voir ce qui se passe dans le mode de fonctionnement des mouvements révolutionnaires des derniers temps: en Tunisie d’abord et partout au monde ensuite ou à sa suite.
S’il est vrai que le Capital a regné en maître pratiquement incontesté (dans les faits d’Etat et de société) sur l’ensemble d’au moins les six derniers siècles et qu’il continue de mordre dans l’humanité, il n’est surtout pas faux que les peuples ont beaucoup appris entre-temps. L’une de ces grandes leçons et qui comptera à mon sens beaucoup dans l’à-venir est que la théorie ‘préalable’ n’est plus à l’avance mais au récul. Les peuples sont de plus en plus dans l’idée que l’élite; y compris révolutionnaire, est pour l’essentiel de nature verbale. Or, le monde a beaucoup souffert du Verbe.
Pour avoir toujours su gérer à son profit les crises qu’il a toujours fabriquées ou produites, le capital (et bien entendu ses relais de tous bords) ont longtemps faussé les parcours. Mais ce même capital est désormais le produit et non le producteur de ses crises. Il se décompose, précisément parce qu’il n’a plus que le seul choix des finances, donc de l’investissement à haut risque. Sa machine ancienne, n’étant plus d’acier, elle est désormais – mais c’est pour le goût de l’image ou de la métaphore – de fibre optique. Et ses opticiens s’aveuglent à défauts d’options. Plus que le choix de la ‘fortune irrélle’ ou de la guerre. L’une et l’autre sont d’effets immédiats. Cela ne donne donc aucun temps mort. Les peuples souffrent, les peuples se révoltent. La famine comme la guerre et – de façon générale l’injustice et la paupérisation à grande échelle – ne se théorisent pas. Elles se consomment et, se consommant, elles se transforment en rejet radical. Cela expliquera et la rapidité des mouvements et leur universalité et surtout le rôle de plus en plus réduit des élites ‘ révolutionnaires’. Pas une révolution de celles que cette année enregistre ne contredit le fait que pas un parti, en Tunisie, en Egypte, en Lybie, au Yémen, en Syrie, en Grèce, en Italie, en France, aux USA, en Espagne et très bientôt ailleurs n’a eu le temps de se poser en leader de quelque mouvement révolutionnaire ou contestataire. Ceci n’a pas que l’effet de ‘désarticuler’ les calculs de la Réaction politique; à commencer par le Capital et ses Etats. Accoutumés à ‘négocier ‘avec partis et syndicats et à gérer les conflits souvent en leur faveur, ils sont aujourd’hui très souvent trop pris de court par, justement, ces masses qui n’ont plus de temps à attendre.
L’echec des élites mutées en Etats bureaucratiques aussi bien sous leurs formes bolcheviks, maoistes, socialistes de jargon ou démocrates de contre-façon a aussi appris aux peuples qu’ils ne peuvent vivre par procuration. Aujourd’hui et demain, je pense, leur respect de leurs élites se mesurera au dégré de modestie de celles-ci et à leur sens de la practicité. Allez réciter Marx, Engels, Lénine; Proudhon ou du Che à Sidi Bouzid ou à Bercelone ou Manama et l’on rira de vous comme de tout anachronisme. Ce n’est pas que ces grands ont perdu leurs apports àl ‘humanité soucieuse de justice et de liberté mais parce que ce n’est plus de verbe que les peuples ont besoin. L’échec de tous les mouvements nationalistes à l’échelle globale – sauf à devenir l’outil de destabilisation chronique d’Etats concurrents comme c’est le cas en Chine et en Russie (et plus tôt aux USSR) ou, de façon plus pronocée en Afrique- est aussi une autre illustration du fait que la politique ne se nourrit plus de nos jours de ‘bons sentiments’; voire même de grandes idées justes mais de pratique révolutionnaire; aujourd’hui synonyme de révolution pratique. En ce sens, les nationalistes de toute gamme comme les porteurs de projets conçus de leurs fins et non à partir de leurs commencements (anarchie, utopies, communisme version finale)- sont et pour bien longtemps; voire à jamais condamnés à la minorité, car d’élite.
Que sait l’élite que les peuples ne vivent pas? sans doute, au mieux, les mécanismes de fonctionnement et, probablement un sens de l’organisation et de gestion que le plus commun des hommes peut ne pas avoir, à défaut d’égalité sociale et d’alphabétisation avancée. L’elite n’a donc plus le monopole du vécu et encore moins l’abus de le coudre en verbe et de s’en satisfaire ainsi. Elle est appelée à plus de modestie de fait, car son rôle est désormais non point secondaire mais second.
Ce n’est pas non plus un hasard que partout au monde, les mouvements religieux ‘touchent’ mieux les masses. Au service direct du capital dans les pays ouvertement capitalistes, indirect dans les pays à contexte social explosif, ces mêmes mouvements n’axent plus leur discours politiques sur des ‘prêches’ de texture métaphysique mais sur des promesses de vie quotidienne parfois très de court terme et des aides sociales. Ce n’est pas qu’ils ont théorisé mieux la ‘révolution’ mais tout simplement parce que plus l’on s’approche des masses plus elles vous apprennent à quitter de la théorie pour la pratique. Ils peuvent faire de la politique ouverte là om d’autres font de la révolution de texte ou, disons, de la ‘révolution emmurée’.
La raison d’espoir est dans ces mêmes masses qui sauront, à la pratique, décéler vrai et faux. L’autre raison de ce même espoir est que les forces de changement réel comprennent que le monde a beaucoup changé et que les idées ne valent que par rapport à leur feasabilité. Faire n’est pas que dire. Et pas un peuple n’oublie ou ne formule sous quelqure forme de proverbe ou de dicton cette sagesse, somme toute bien radicale.
Le capital a perdu ses plumes. Ses opposants doivent garder leurs pieds (entendu sur terre).