Les rares mais bien précieux commentaires de l’article ‘La Révolution pratique: l’UGTT: une question à mille Dinars’ provoquent très amicalement et surtout assez objectivement ce deuxième à propos.Notre ami Rachid notait dans son commentaire qu’il faut toujours commencer par les bases. Pur sens! Tel est en effet le principe même de l’anti-bureaucratie. On ne saurait prétendre à quelque démocratie quand les décideurs, comité central, délégués régionaux ou tous autres cercles clos décident pour des dizaines de milliers de syndiqués (et d’ailleurs de non syndiqués) sans l’avis de ces masses laborieuses, après tout le corps même et la raison d’être du syndicat.
L’aberration syndicale est en la matière beaucoupo plus pésante et d’effets bien plus graves que l’aberration politique. En matière syndicale, les enjeux sont de nature immédiate et les retombées ne peuvent généralement s’inscrire dans la durée qu’à titre très exceptionnel. Là où le politique aberrant fausse les jeux par des promesses ou des projets, le syndical abusif ‘vend’ carrément en les négociant à la baisse et dans le cadre de compromis ou de cession avec l’Etat, la force du travail des employés et pire, parfois leur dignité même; rien que pour des ‘transactions’ d’intérêts personnalisés. Sans le poids de ses bases, le syndicat n’a que la totalité de la légéreté d’être. Le principe doit valoir sans faillite aucune. La réalité, n’empêche, est souvent, sinon toujours, têtue. Comment donc imaginer commencer à la base quand cette même base est, pour des considérations fonctionnelles, incapable de se défaire de la bureaucratie du centre. Entreprendre une ‘syndicalisation consciente’ est affaire de longue haleine dans un contexte tunisien qui, de poids de dépendance, de jeux de crise et de faits de fébrilité socio-économique greffée à un état d’hyponose politique paradoxalement post-révolutionnaire, ne peut permettre des remises, des ajournements et des reports ouverts. Le temps compte. Beaucoup. Plus important devient alors le besoin d’avoir présente à l’esprit l’idée que ce dont il est question, c’est précisément de ‘démocratiser’ l’UGTT. Ce n’est donc en aucun cas en termes de ‘coup de syndicat’ (pour emprunter l’image du coup d’Etat) qu’il s’agit de penser et de faire mais bien d’une ‘révolution syndicale’, en ce sens où révolution – s’inscrivant dans le cadre national nouveau – signifie redonner aux masses laborieuses (toutes catégories professionnelles) leur voix, leurs choix, dans la décision syndicale. Concrètement, cela veut dire, normalement, que le centre n’aura qu’une fonction gestionnaire. Mais quel centre? Les questions de Zoubeida recouvrent ici leur raison d’être: re-penser l’UGTT ‘avec qui, entre qui’ sont au fond des questions de source. Comme la visée est de parer à l’action bureaucratique dans le mode de fonctionnement du syndicat national jusque-là le plus légitime de par le cumul historique et surtout de par son action en principe unificatrice, il n’est que logique que cela revienne d’abord -j’allais dire exclusivement- aux syndiqués, càd aux forces de travail les plus engagées dans la défense de leurs intérêts. C’est probablement à ce stade de la réflexion en la matière qu’un premier élément de réponse consistera précisément à mettre en relief la formule ‘démocratie syndicale’ au sens où, de l’intérieur du syndicat, se déclenche le processus de ce que j’appelais ‘la remise à niveau de l’UGTT’. Le centre d’hier n’a plus la légitimité de gérer le syndicat de demain. Mais tel n’est finalement qu’un constat assez ‘impressionniste’ de l’échec aujourd’hui plus ou mois chronique de l’UGTT. C’est en finale un paradoxe ou, mieux, une contradiction réelle que l’Etat à couleur unique ne produise qu’un syndicat du même type. Il est un fait assez notoire que les oppositions prennent très souvent la couleur du régime auxquelles elles s’opposent. Cela se vérifie plus clairement dans le cas politique mais, généralement beaucoup moins souvent en matière syndicale. Or, c’est pratiquement le cas en Tunisie sous Bourguiba comme, et comment, sous Zaba. L’évolution historique et les conflits latents ou ouverts n’effaceront pas l’ancienne image de tout un syndicat – l’UGTT – qui, dans ses révendications politiques, faisait exception de H. Achour, alors à libérer. La question n’est pas dans l’homme politique tout inscrit dans la lignée ‘étatique’ mais dans le concept même du ‘chef’ historique ( exceptionnel ou je ne sais quelle autre qualification) qui ne peut être en matière en syndicale que de mauvaise farine.
En cette approche, la sacralisation tout autant en politique qu’en cause syndicale est synonyme de défaite au départ. Le sacré est le contraire de la démocratie comme mode de gestion de choix libres. Sacraliser les chefs revient inévitablement à les porter au-dessus du droit, donc de la loi.
Le capital – pour nous limiter à l’exemple le plus anti-démocratique – faisait de Valesa la voix la plus syndicale de la Pologne (et au-delà, de l’Europe de l’Est) pour en faire le président du pays et l’allié assez précurseur du même capital qu’il critiquait employé. Que ceux qui trouveraient quelque différence significative entre Yeltsine et Valesa le crient. Ils ne crieront qu’obstinés car ils ne pourront trouver de vraies différences. Ce n’est en rien défendre le ‘socialisme hyperbureaucratique et tyrannique’ mais les exemples peuvent bien servir à dire combien le capital est calculateur, fossoyeur et surtout combien la sacralisation est coûteuse pour les masses populaires. Ils disent surtout la faute que commettent toujours ceux qui distinguent, à l’échelle locale comme à l’échelle internationale, politique et syndicat.
Entre qui, avec qui pourrait donc trouver premières réponses dans le processus concret de démocratisation du mode de fonctionnement de l’UGTT. Une deuxième formulation de cette première réponse pourrait s’exprimer négativement: en tous cas sans le Centre actuel. Le même raisonnement aboutirait en abrégé à ceci: Elections démocratiques et transparentes de comités locaux, régionaux et nationaux pour un Centre (comité, organe, conseil ou toute autre catégorisation) qui n’aurait de fonction que représentative et forcément gestionnaire. On ne peut à l’évidence méconnaître les difficultés techniques de cette procédure mais que pourrait être la démocratie syndicale autrement que sous la forme de ce projet? Cela devrait naturellement répondre à l’exigence théorique de notre ami Rachid tout autant qu’aux questionnements de Zoubeida.
Ainsi, entre et avec qui ne trouvera de solution pratique que dans le libre choix des syndiqués eux-mêmes et non des théoriciens du syndicat ou encore des partis ou courants politiques. La bureaucratie s’apparente absolument et plus qu’à simple titre de métaphotre à la leucémie. Elle est, sauf exception de maladies imaginaires, mortelle. Nous savons tous presque que la maladie de l’UGTT n’est pas imaginaire. Toutefois, il ne me paraît ni démocratique ni juste d’aller trop vite en besogne. La chose est à mon sens tellement capitale qu’il faut bien que de comités encore plus ouverts — mais cette fois et de l’intérieur et de l’extérieur de l’UGTT – procèdent à l’établissement aussi miticuleux que rigoureux du bilan de l’organisation sur la totalité de la priode d’après 1956.
Comme il m’est très difficile d’imaginer que des recherches académiques puissent en finale valoir par le temps qu’elles prennent comme par les résultats toujours partisans et ‘idéologisés’ auxquelles elles aboutissent, il est toujours de bon conseil que de telles études ne serviraient qu’à titre d’appui de méthode. Autrement qui mieux que les adhérents du syndicat en connaît contours et détours. L’académie est, hélas, académique!
Le risque majeur de la critique de la bureaucratie est le plus souvent de trop individualiser son objet. Or ce n’est pas qu’une question de personnes que de re-penser le mode de fonctionnement de l’UGTT; d’où l’idée de faire de sorte que la justice prenne charge des abus – justement par la désacralisation du ou des chef(s) et que le syndicat prenne en charge son devenir. Cristalliser la tourmente foncière ‘ fondamentale) de l’UGTT en individus dits, supposés ou même confirmés ‘abusifs’ ne peut en aucune façon servir la cause générale et de fond de l’UGTT. Des dizaines voire des centaines de milliers d’hommes et de femmes ne peuvent se résumer à quelques ‘opportunistes’ de choix. Bref, l’UGTT n’a pas plus à punir ses mauvais chefs qu’à se trouver un mode qui exclut toute tentation d’abus en son sein. La Tunisie d’hier doit fourmiller de ‘punissables’. Ce doit être l’affaire – somme toute urgente- mais de la justice libérée et autonome. Les institutions se doivent surtout de s’occuper beaucoup moins de revanche que de vidange!
Ceci nous amène à la question encore plus générale de Radhia: quel avenir pour l’UGTT sans la gauche et vice-versa? Ce devrait être aussi une question qui aurait à s’inspirer en son éventuelle réponse du concept même de la démocratisation de l’action syndicale. Une gauche non démocratique n’est au mieux que gauche. Le cadre devrait donc dépasser la distinction notoire, d’autant plus qu’un syndicat efficace tend de nature à l’ouverture, là où un parti politique, voire une alliance, tendrait davantage vers la clôture, par sélection quasi-naturelle. Quitte à ignorer pour un moment que vaut mieux ne pas répondre à une question par une autre, je me permettrai celle-ci: pourquoi ne pas concevoir un syndicat qui s’autogère? Autrement dit, que le syndicat pratique la démocratie d’abord en sa formation même. Droit au plus compétent, au plus respectueux de l’acte syndical d’option majoritaire. C’est d’ailleurs toute la défaillance de la bureaucratie (en tout plan) que de prendre sa propre minorité factuelle pour une majorité fictive. N’est-ce pas surtout en ces termes qu’elle gère par la fiction la réalité socio-économique?
De certains oeuvrent déjà à tambours battants et depuis assez longtemps pour d’autres formations syndicales. ILs se prêtent déjà vie, mots et ordres. Une pensée démocratique n’excluerait aucunement ce droit, car de quels terres ou cieux peut-on empêcher des syndicalistes de se créer une maison autre que la maison-mère? Normalement aucune. Il est vrai cependant que l’économie tunisienne ne semble offrir encore la structure assez épanouie pour une diversité organisationnelle ou d’institutions syndicales nombreuses. Le risque d’émiettement est en la matière de conséquences assez graves sur l’unité des travailleurs dans une société où l’Etat lui-même agit en patron. Les chiismes syndicaux ne seraient alors que les traductions de divergences d’idéologie et de politique. Le cas assez consacré des syndicats dans les sociétés de régime capitaliste établi laissent voir, rien qu’à titre très indicatif, un premier mai avec des enseignes et des solgans, voire des rangs désunis et, au bout du compte, la désunion en marche. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que ces mêmes syndicats deviennent des ‘partis syndicaux’ avec, comme par exemple en France, la CGT (PC),FO (modéré); CFDT (PS) etc..
.Le plus grand risque est donc de voir les syndicats se métamorphoser en outils politiques là où ils doivent être en principe les instruments de la lutte contre les abus du capital pour la défense des forces du travail.
La ‘révolution syndicale’ – projet immense mais besoin réel- n’ira pas sans une révolution non pas DE mais DU droit. Il suffirait en ce seul point de constater combien certains secteurs jusque-là et contrairement à toute pensée économique fondée admis principaux peuvent souffrir davantage de la politisation excessive des syndicats en cas de multitude. le secteur touristique, par exemple, de par l’hégémonie ‘privée’ ne fournirait au mieux que des ouvriers qui, de crainte de licenciement ou encore de ‘pépercussions sans délai’ opteraient pour les formations syndicales les plus modérées; ce qui viderait de son souffle premier le syndicalisme voulu de base et, de toute façon, basique. Le secteur agricole – secteur principal majeur dans une économie non dépendante- ne fournira dans une écomie à pilliers féodaux que comme poils de tête chauve de syndiqués.
Enfin, évoquer la question syndicale dans le cadre de la révolution pratique, c’est avant tout dire ou admettre que la révolution n’ira jamais loin sans les forces du travail. Rien n’est plus pratique que cela. Les forces productives ne sont pas le moteur de l’économie mais bien l’économie entière et la société. Parler de justice sociale, d’égalité, de démocratie sans poser au centre des débats l’action syndicale, c’est un peu comme ne vouloir de capuccin que sans lait! Le chemin est long mais le besoin est pressant.
Un dernier volet: Peu nombreux sont ceux qui savent combien les syndicats des USA sont actifs et souvent de projets vivement anti-capital. Ce n’est pas que ceux qui ne le savent pas ne savent pas lire mais bien parce que ceux qui le savent – la presse d’abord- ne l’écrivent pas. C’est encore un mobile pour dire que la révolution syndicale exige en place de choix la libération de la presse, donc l’évolution du droit en faveur de la liberté constructive.
Un syndicat efficace a moins besoin d’un journal que de communiqués. Le journal re-centralise le Centre là où les communiqués et mots d’ordre répartissent l’information et les programmes. La bureaucratie, elle, se nourrit aussi de sa presse comme la presse grise de ses bureaucraties. Mais c’est encore, comme ne dirait pas un manchot de manchette, une autre paire de manche.