J’ai avec beaucoup d’attention suivi intégralement la longue interview de M. R. Ghannouchi. Je le trouve très intègre comme discours.Encore une fois, l’homme individu n’est pas mon point d’attention. Son discours est on ne peut plus d’une clarté qui ne doit pas laisser une seule ombre aux besoins nouveaux que l’Etat à-venir appelle de tout citoyen/
M. Ghannouchi fait ici preuve d’une expérience politique et discursive riche d’enseignements.
Loin de tout opprtunisme intelllectuel ou politique, j’y trouve beaucoup de bon sens et une tendance à l’exercice du droit.
Cela dit, il est temps que l’on passe du discours idéologique à la critique politique.
Les adversaires politiques de la Nahdha ont en effet tout intérêt à se dégager au plus vite de leurs réflexes extrêmement idéologiques. Le parti qui a le mieux gagné les élections est en phase de s’installer au pouvoir/ il est temps que les forces que j’ai toujours appelées de changement réel s’aperçoivent d’une défaillance qu’ils n’ont cessé de consacrer, voire de porter à l’affiche.
Des élections ont eu lieu et elles ont été pratiquement de partout jugées crédibles. Un Etat nouveau va prendre forme. Et si la tâche principale pour laquelle les gens ont voté n’était pas le gouvernement en soi mais la constituante dont la raison d’être est de penser et mettre en place une nouvelle constitution à la hauteur des aspirations réelles de ce grand peuple, il n’est pas inutile de rappeler que la nahdha gouvernera le pays. Convaincue qu’une seule année est suffisante, elle ne semble vouloir porter seule le poids d’une année de gouvernement qui ne saura donner néanmoins lieu à quelques frustrations économiques, sociales et poitiques. Le temps est certes trop court pour la Nahdha mais beaucoup moins court pour le pays qui, entre-temps, verra sur le terrain le degré de crédibilité du discours du gagnant d’aujourd’hui.
C’est en ce sens qu’il s’impose aujourd’hui des besoins nouveaux pour toutes les forces de changement réel: celui de tout simplement s’inscrire dans la réalité socio-politique du pays. Au pouvoir, la Nahdha et ses alliés potentiels ne relèveront plus de l’intention ou du texte mais de la pratique d’Etat. Telle est la voix de la boite et tant mieux pour qui gagne.
J’ai personnellement la conviction que l’ère démocratique – du moins au sens le plus libéral – est désormais ouverte.
L’avant 24-3 a vu des débats et controverses plutôt aliénés des deux bords. La droite a su en tirer profit, la gauche s’y est enfoncée à perdre tout; à commencer par son identité de force politique capable de gérer un pays. On n’oubliera pas que la ‘gauche’ dite progressiste n’a pas couru qu’à sa seule perte. Par excès de libéralisme et de ‘laïcité’ aveuglée, par opportunisme et par insolence médiatisée elle a entraînéé à sa boue des forces de ‘gauche’ de loin socialement et culturellement moins aliénées.
La phase qui s’ouvrira avec la prise -méritée – du pouvoir par la Nahdha est d’une autre nature: Il ne s’agit plus de voir cette fois dans ses choix idéologiques mais dans ses actes politiques.
M. R. Ghannouchi; leader incontesté de la Nahdha, en est et en sera bien l’architecte de prédilection. En ce sens aussi, son discours à l’interview doit servir de point de repère aussi à ses opposants politiques les plus avisés et les moins opportunistes.
Il a insisté sur le fait qu’il n’interdira aucun parti politique ni refusera quelque demande de parti; à la condition que le parti s’inscrive dans l’action légale. c’est un élément tout particulièrement important. Il est absolument à mettre à l’épreuve, car c’est un engagement de premier ordre pour juger dans les faits et non dans les mots de sa conception de la liberté d’expression, de la pratique politique et du fonctionnement de l’Etat et des trois pouvoirs..
M. ghannouchi a également exprimé sa conscience de la réalité sociale tunisienne et de là s’est engagé à ne rien changer au code si ce n’est le seul amendement pour passage dans le texte – ce qui s’engage- t-il- ne changera rien dans les faits, de l’adoption à la tutelle ou prise en charge (de tabanni à Kafaala’). C’est un engagement net.
D’autres engagements de moindre résonance idéologique ont été pris.
C’est le discours d’un homme politique. Je dirai des plus professionnels et des plus doués en sa matière.
Le devoir nouveau de tout tunisien démocrate n’est plus désormais de contester quelque présence politique ou étatique de la Nahdha, car ce ne serait que terriblement anti-démocratie, mais de juger aux actes.
Cela ne devrait pas empêcher les forces politiques de quelque bord qu’elles soient et ses têtes pensantes ou pansantes de traiter librement de toute question idéologique, philosophique, économique, sociale (ou ‘anthropologique’ s’ils l’entendent) mais ce ne sera en aucune manière le propos qui sera le plus adéauat en matière politique. Le gouvernement aura la charge du pays pour au moins une année. L’opposition – radicale ou autre – faillira encore à l’Histoire à se cantonner dans la quête des ‘défaillances’ idéologiques. On ne gagnera absolument rien à prouver l »improuvable’ tant l’idéologie échappe de nature à l’argument pratique. Et s’il y a quelques arguments possibles, ce sera dans la traduction en pratique de cette ‘supposée’ idéologie que les bonnes preuves feront face concrète.
Avec l’intention tout légitime de perpétuer son Etat, la Nahdha essayera d’éviter toutes épines sur le peu de ce temps d’une année. Elle sera bien tentée d’associer d’autres membres non -Nahdha à son gouvernement. C’est un moyen politique de ne pas tout assumer dans l’immédiat pour éviter tout embarras demain. Un premier paradoxe serait d’élargir tellement le gouvernement à impliquer pratiquement tout le monde. Cela aura bien une apparence démocratisante mais cela risquerait bien de permettre un jeu double: La Nahdha n’est pas le gouvernement mais le mouvement. Il sera dans ce cas plus difficile de faire la part des choses aux prochaines échéances éléctorales (législatives et présidentielles ou encore régionales ou municipales mais ce sera fonction du Destour à re- inventer).Mais cela gardera toutes leurs chances à la Nahdha (s’il elle réussit à bien servir ce peuple et c’est ce qui est à voir au tangible) et surtout à ceux qui veulent vraiment agir pour le bien concret et qui ont aujourd’hui besoin de s’allier au peuple par la présence politique et par la compétence sociale. L’Etat aura à mettre en applicatyion ses ‘promesses’ ou engagement. Le rôle de l’opposition constructive est de l’avoir sous l’oeil en toute légalité. Ceux qui opteraient pour une critique systématique à base de’radicalisme’ textuel n’auront ni la popularité qu’ils se doivent d’avoir pour faire de la politique capable de changement ni quelque pouvoir autre que celui de la construction et de l’alignement des phrases.
L’attitude de la communauté européenne, des Etats unis, assez en faveiur de l’Etat Nahdha dépouillent littéralement les forces dites ‘démocratiques, laïques ou ‘progressiistes’ et assimilés d’un allié qui a bien vu leurs ‘inadéquation’ et politique et stratégique. A veiller à ce gain de taille, la Nahdha tentera d’aller vers davantage de modération tactique; d’autant plus que pratiquement rien ne semble aujourd’hui l’opposer vraiment – du moins dans sa version Ghannouchi- à l’Occident. De là je déduis que les partis ‘opportunistes’ ont perdu pour bien longtemps. De là aussi, je déduirai que les forces de changement réel ont cette fois une cause qu’ils seraient seuls les mieux en mesure de défendre le plus sincèrement s’ils en auront les moyens politiques: la cause sociale par la critique de l’économie dominante. Il s’ouvre en effet un chantier politique d’un motif nouveau: la nahdha au pouvoir, les opportunistes et aliénés à l’écart, seule la voix juste comptera. A embrasser la ‘démocratie’ libérale, la Nahdha vide les libéraux de leur cheval de Troie. A ‘rassurer’ le capital, elle ne fera au mieux que du social à moitié.
M. R. Ghannouchi est d’un homme qui a fait preuve de grandes capacités politiques. Il me paraît très intègre.Pour cela, le besoin politique nouveau est de juger son équipe d’Etat non point par intégrisme ou non intégrisme mais – en parfaite fonction des actes du gouvernement nouveau- en termes d’intégrité ou non. Les forces de changement réel ne seront plus celles qui excellent dans la critique tout azimut mais bien celles qui sauront suivre en simultané les agissements du gouvernement et les aspirations du peuple. Les masses populaires ne font pas de la philosophie ‘brut’ mais du quotidien socio-politique. A le comprendre, la Naاdha a réussi à gagner la première bataille électorale. A pouvoir le comprendre et agir en fonction, les forces de changement réel pourront ne plus perdre ou, du moins, ne plus perdre de la sorte. La politique est socio-économique et bien entendu culturelle. L’idéologie est tout cela mais dans l’absolu. La société relève du relatif. A vos têtes, citoyens!