Persepolis, diffusé sur Nessma TV vendredi dernier (le 7 Octobre 2011) était intéressant à plus d’un égard. Il s’agit d’un film d’animation sorti en 2007-prix du jury à Cannes la même année- et diffusé en avant première en Tunisie lors des journées du cinéma européen en 2007.Adapté de la bande dessinée éponyme, ce long métrage est une autobiographie de la réalisatrice, Marjane Strapi, artiste Iranienne, qui a vécu la révolution populaire puis la transition islamique dans son pays.
Au delà de l’analogie entre l’histoire de l’héroïne du film et les événements que les tunisiens sont en train de vivre depuis le mois de décembre 2010(similarité parfois ahurissante: tirs a balles réelles pendant le soulèvement populaire Iranien, renversement du régime, libération des prisonniers politiques, fierté de tout un peuple, vide politique post-revolutionnaire…),Persepolis est un film « esthétique », accordant de l’importance au style du dessin de la BD, avec des personnages simplement représentés mais criants de réalisme ; des couleurs agréablement fades et une attention toute particulière portée aux détails culturels propres à la civilisation Perse: constructions typiques, paysages urbains soignés et une grande fidélité en ce qui concerne l’apparences physiques et les habits des protagonistes …
Passé inaperçu pour la majorité des Tunisiens lors de sa sortie, ce film a fait pas mal de bruit autour de lui depuis sa diffusion sur la chaine maghrébine. Ceci est surement imputable au fait qu’on a eu droit à une version traduite en Arabe, littéralement. Il ya eu, effectivement, un effort considérable derrière, et toutes les voix ont été doublées en Tounssi, notre arabe dialectal.
Il est à signaler que la traduction n’a rien changé au message fort véhiculé par le film, elle est restée en somme assez fidèle.
Je reste convaincu pour ma part, que si le film avait été diffusé dans sa version originale il n’y aurait pas eu tout ce grabuge autour ! Pourquoi ? Parce qu’il fallait une traduction tounseyya pour nos nouveaux pseudo- intellectuels: Ces néo conservateurs qui s’attachent de façon radicale à notre statut d’arabe et de musulman rejetant toutes formes de dialogue. C’était l’occasion rêvée pour eux afin de nous éclabousser de leur connaissance infuse et de nous mettre à l’épreuve de leur infinie ouverture d’esprit. Et on peut dire que facebook n’a pas arrangé les choses: « mouchawihine eddine el eslemi » (ils défigurent la religion Musulmane) « mouchéyindine amérika wa israîl »( alliés des USA et d’Israël) « Sales Laïcs », …
D’autres avancent carrément: « Nessma s’en prend au parti Ennahdha, c’est clair » ou encore « vive l’Iran ISLAMIQUE ». Dans ce cas, allons y mes amis, regroupons nous et allons jeter des pierres sur la réalisatrice de ce film maudit ! Allons voir Nadia El Fani, elle doit surement savoir où se cache cette Iranienne ! Sinon on peut toujours s’en prendre à la chaine responsable de cet acte traitre et aller lyncher ses employés. En effet, certains parlent de timing: Pourquoi Nessma diffuse Persepolis à deux semaines des élections ? Conspiration quand tu nous prends…
Après avoir été le « vecteur » de la révolution Tunisienne, facebook représente aujourd’hui le premier espace de dialogue entre les tunisiens. Le caractère virtuel du célèbre réseau social avait contribué à ce que les tunisiens sortent de leurs gonds et montrent au monde entier les atrocités commises par l’ancien système. A l’approche des élections du 23 Octobre, facebook est devenu le refuge des détracteurs en tout genre et de tous ceux qui se cachent derrière leurs ordinateurs pour cracher des absurdités en prenant un plaisir fou à troller. Du coup, facebook est devenu l’élément central de la discordance entre les Tunisiens: faux profils, informations non vérifiées partagées de façon irresponsable, langage de rue, insultes et j’en passe. C’est ce que le monde entier regarde aujourd’hui. Heureusement qu’il n’ya que nous, les tunisiens, pour comprendre notre langage « SMSique » ! Sinon 7échma berjouleyya !
C’est quand même affligeant de voir à quel point on accorde plus de l’importance au travail artistique ; à l’histoire, au parcours de l’artiste, à son vécu, à son ressenti… Ce que j’ai remarqué comme certains de vous l’ont surement constaté aussi, c’est notre incapacité à prendre de la distance par rapport à des sujets qui touchent directement notre société et ses tabous: on se sent mal à l’aise quand on voit des bouteilles d’alcool dans des films Tunisiens, on hésite à garder nos yeux fixés sur l’écran quand on est devant des scènes coquines, on fracasse une salle de cinéma lorsqu’elle projette des films traitant d’athéisme…
Une forme d’habituation couplée à un reflexe d’inhibition que nous avons acquis. Que l’on nous a forcé à acquérir. Sans ça, il était impossible pour nous, de nous adapter à notre environnement, en l’occurrence la société tunisienne encadrée par le système policier de Ben Ali. Pourtant l’être humain n’est-il pas, par définition, curieux ?
Marjane Strapi raconte donc sa vie, son enfance, sa révolution, la façon dont elle a vécu tous ces événements marquants survenus en Iran à la fin des années 70 et dont les conséquences sont visibles aujourd’hui. Réagir de la façon décrite plus haut représente un summum en matière d’anti-démocratie. Si l’on ne peut pas accepter/autoriser/tolérer l’avis d’une cinéaste étrangère, qui n’a rien demandé au passage, comment peut on construire un nouveau pays ayant pour base des valeurs telles que la tolérance ou la démocratie ?
Je vous le demande.
Mehdi M’ribah
Petit rappel: Selon wikipédia, en argot Internet, un « troll » est une personne qui participe à une discussion ou un débat (sur un forum ou autre) dans le but de susciter ou nourrir artificiellement une polémique, et plus généralement de perturber l’équilibre de la communauté concernée
N.B: Je viens de finir d’écrire ce papier et qu’est ce que je découvre ?
Selon Mosaïque FM: « La matinée du dimanche 9 octobre 2011 a vu une tentative d’attaque sur le local de la chaîne Nesma TV suite à la diffusion du film iranien Persepolis. La tentative d’attaque a cependant été avortée par les forces de l’ordre qui ont eu recours à des bombes lacrymogènes pour disperser les attaquants.