L’article de M. Mohamed Amami me paraît très utile. Les experts envahissent pages, scènes et écrans. La machine-système tourne à fond et cela n’a jamais été par quelque hasard. De tous temps, les ‘dragons’ de chair humaine se sont appuyés sur deux pilliers en alliance: les hommes de l’épée, comme l’on écrivait dans la littérature socio-poitique arabe relativement ancienne, et les hommes de plume. Cette alliance a toujours servi à pérenniser la domination systématique des démunis, à leurs divers degrés. Il n’est ainsi que certitude que la vieille relation pouvoir-savoir se vérifie dans ses états les plus féroces en matière économique, politique et sociale. Les exemples trans-historiques se multiplient pour affirmer que jamais les Etats, de quelque nature qu’ils soient, ne se passent des grands services que leur rendent l’intelligentsia servile. La chose prend encore de l’ampleur quand on passe de l’Etat au Système. Comme tout autre système, le capitalisme se fonde pour l’essentiel – outre ses structures de base telles la division du travail, la société des classes, l’aliénation économique des masses et toute la gamme de ses valeurs et de la notion-outil de plus-value – sur le mensonge systématisé et donc systématique. Le ‘succès’ du capitalisme moderne a bien été de toujours innover dans ses outils de propagande et de ne jamais perdre de vue ses intérêts économiques. En ce sens, il a fait de l’aliénation ‘intellectuelle’ – donc forcément sociale- l’un des axes les plus importants de son fonctionnement à durée indéterminée. La révolution bourgeoise lui a donné l’élan, la société moderne, par tous les mécanismes de déséquilibre généralisé qu’il ne cesse de produire, lui donne le lieu favorable à toutes sortes de détournement. L’école, les média, la science et les technologies, sont ses instruments pour le mensonge. Tout ce qui s’y oppose est source de dérangement, voire de risque. En ces termes, le capitalisme veille à la mort de la critique. Et il n’y a donc de surprise à le voir manoeuvrer en toute heure pour le statu quo et à toute échelle. Les experts, por y revenir, n’y sont que l’un des outils somme toute ‘mineurs’ – et j’ajouterai pour les vendus minables -de l’aliénation par le détournement. Comme il n’admet de vérité autre que la sienne, le capitalisme est dictatorial par essence et il n’est pas étonnant qu’il lâche à chaque occasion ses experts pour contrecarrer toute ‘dérive’. La révolution tunisienne – je ne le répèterai jamais assez – est une grande révolution qui comptera beaucoup dans l’Histoire. Elle ne rompt pas seulement avec les systèmes ou schémas révolutionnaires classiques – idéologie, parti, masse en mèche et en marche -mais elle remet surtout en question et le capitalisme et les schémas anciens de lutte contre lui et son allié de toujours le féodalisme. Cette révolution est vraiment révolutionnaire de par sa rupture avec les structures classiques de ce bord et de l’autre. Par le dépassement du préalable idéologique, elle ne peut concevoir le capitalisme comme notion abstraite ou système ‘intellectuel’ mais bien comme une réalité concrète qui exige une confrontation directe; d’où le rôle désormais très réduit de force comme de nature, des élites ‘révolutionnaires. En ce sens aussi, la révolution tunisienne ouvre les portes – ce qui ne cesse d’ailleurs de se vérifier dans le monde arabe et ailleurs, y compris en Europe occidentale – à des changements ouverts qui, étant de masse, ne peuvent être que susceptible d’essence de verser dans la démocratie réelle.
Ce n’est pas de l’exagération et encore moins de l’optimisme béat de supposer que cette révolution marque déjà l’histoire par, précisément, l’ouverture de ses horizons sur les plans et de la géographie et de l’histoire. Il n’y a pas que le capitalisme qui sera forcé d’y laisser des plumes mais aussi tous les systèmes aliénants. Pour tout cela, les experts ne comptent désormais que dans l’illusion dont se faisait le capitalisme aujourd’hui absolument en récul; non point par la foi des élites mais bien par le désarroi des masses. La révolution tunisienne et ce qui est en train de s’ensuivre bousculent l’histoire comme jamais une révolution ne l’a fait. La première raison en est à mon sens que le capitalisme ou toute autre force de Réaction peuvent toujours soumettre par quelque ‘génie’ de manoeuvre politique ou de tentations systématiques les élites chavirantes de nature ou privées de stature mais ils ne peuvent jamais détourner les conditions objectives; seul mobile des masses populaires. En ramenant ceci en vue dans les faits socio-politiques, la révolution tunisienne et toutes les autres qui suivront creusent déjà la tombe de tout mensonge’politique’. Les experts n’y changeront absolument rien, car la guerre du capital et de la réaction n’est plus cette fois dans les textes – leurs lieux de prédilection et celui, surtout, des élites – mais dans les ateliers, les écoles et les rues. La dictature n’y pourra rien; même à refaire toutes les vérités. La révolution produira des déceptions, certes, mais elle a déjà produit un mode de fonctionnement révolutionnaire. De cela d’abord découlera le désartre désormais certain et relativement proche des dictatures locales et internationales. Pour une fois qu’elle n’emprunte pas au capitalisme et au féodalisme leurs modes de fonctionnement, la révolution innove dans ses méthodes. Là est l’essentiel de toutes les luttes à-venir. La dictature n’a plus de schéma formel à contrecarrer par la manoeuvre avertie. Elle n’a plus que des hypothèses et c’est en ceci d’abord qu’elle ne pourra que courir à sa perte. Bref, les masses sont vraiment plus ‘géniales’ par leur réalité même que les systèmes par tous leurs schémas mentaux oiu leurs forces d’appui.