Dès le lendemain du 14/01/2011 et le départ mystérieux de Ben Ali digne des grandes intrigues policières romancées de Georges Simenon, la Tunisie a fait fausse route où l’on a continué à faire du neuf avec de l’ancien en dépit de tout bon sens politique et juridique indispensable pour conférer une validité juridique à tous les actes fondant la nouvelle architecture institutionnelle.En d’autres termes, il est légitime et fondé de considérer que toutes les instances initiatrices et organisatrices du nouveau projet politique tunisien constitueraient une aberration institutionnelle et un véritable déni de démocratie. Elles ont agi comme si elles étaient détentrices de délégation de service public, notamment en ce qui concerne les modalités d’organisation du scrutin électoral de l’Assemblée Nationale Constituante, sujettes à caution. Comme si le tailleur en l’occurrence l’ISIE. cherchait plus à déshabiller le peuple tunisien au profit de la secte d’Ennahdha en lui taillant un habit sur mesure en faisant preuve d’une mansuétude et de bienveillance surprenantes et inquiétantes quant à l’avenir politique des plus théocratiques qui se dessine pour la Tunisie.
Ni sanction, ni rappel à l’ordre, ni de mesure de rétorsion à l’égard de la secte d’Ennahdha comme si elle bénéficiait d’une immunité politique et juridique lui permettant d’enfreindre en toute impunité le code électoral ou à à défaut le cahier des charges électoral à supposer qu’il y en ait un. En aucun moment ennahdha n’a fait l’objet d’une quelconque remontrance de la part de cet organe, comme s’il était là pour baliser la voie et déblayer le terrain pour elle. Un organe arbitral tel un arbitre d’une rencontre de football entre deux équipes qui fait preuve d’un zèle étonnant à vouloir siffler les fautes de l’une tout en oubliant les fautes caractérisées de l’autre qui ont pourtant émaillé tout le match. Parmi ces innombrables fautes qui ont dû avoir un impact sur la sincérité du résultat.
on trouve l’instrumentalisation de la religion, le dévoiement des mosquées, les menaces de mettre le pays à feu et à sang si le résultats du match n’étaient pas conformes à ses attentes, les intimidations, les sources étrangères de financement de sa campagne, les tentatives de corruption, les cas de corruption avérés etc. On ne peut que s’interroger sur le silence trouble de toutes ces instances qui répondaient plus à des besoins occultes, obscurs et inavoués qu’aux besoins du peuple tunisien lui-même. La démocratie n’a de sens que si ses représentants sont mandatés. Or, dans le cas d’espèce, ces instances sont apparues une brèche ouverte dans le projet barrage que les Tunisiens voulaient bâtir entre le despotisme et le démocratisme citoyen. A se demander si ces intances n’étaient pas comme ces oragnes judiciaires chargés de procéder à la liquidation des entreprises après les avoir vidées de toute leur substance.
En effet, la ressemblance est assez frappante au vu des modalités abscons de leur création, du choix des équipes censées les animer, de leur mode de fonctionnement interne, de leur prétendue indépendance pour afficher une légitimité de façade dont elles se sont affublées et de leur statut juridique ambigu qui est en tout état de cause doit relever du champ du droit public tunisien dont elles se sont dotées, en s’auto-octroyant ainsi un pouvoir exorbitant, inepte et sans fondement légal sérieux. Elles avaient agi sans aucune légitimité politique, ni démocratique moins dans le sens de l’intérêt commun que dans l’intérêt des commanditaires privés en combinant cela avec l’exaltation de leurs egos personnels. La seule légitimité dont elles pourraient réellement se prévaloir est l’opacité et le clientélisme à l’origine de leurs mises en place par des procédures entourées d’un grand flou juridique y compris celle du recrutement des membres auto-proclamés. Il y a fort à parier que lesdits membres ont dû être choisis selon un système de cooptation et de favoritisme, apparenté à ce qu’on appelle trivialement un système de copinage. Ce qui démontre d’emblée le caractère népotique et antidémocratique de ces instances.
Au lieu d’être l’expression de l’éveil démocratique en Tunisie et marquer une rupture avec le passé despotique avec des structures sociales et politiques fondées sur l’intérêt particulier et les relations interpersonnelles, elles n’ont fait en réalité que le reproduire sous une autre forme les habitus tels que les définissent Bourdieu. Le particularisme des instances électorales et la haute instance n’est pas sans rappeler celui du C.I.O. au lieu d’être représentatif de la grande famille olympique, des Comités Olympiques Nationaux, il s’est recruté lui-même par l’élection des personnalités jugées qualifiées. Ce mode de recrutement est de cours au sein de la Croix Rouge Internationale est connu sous le nom de « self recruiting body » que certains qualifieraient de « self-perpetuating body ».
Un système faisant la part belle à l’arbitraire, à la subjectivité, la partialité, l’excès de pouvoir, un club de copains, sectaire et occulte. Pourquoi la nouveau paysage démocratique qui se profile en Tunisie au lendemain du 14 janvier 2011 a t-il nécessairement besoin d’une phase transitoire, d’un passage graduel qui le fait passer d’un état à l’autre ? Une révolution ne transite pas en principe, elle est supposée provoquer un séisme politique, institutionnel et culturel dans le pays, elle transforme le pays de fond en comble avec une soudaineté inattendue sans filet protecteur ni garde-fous pour lui faciliter l’accès à une nouvelle étape. Quand un séisme frappe un pays dès le lendemain on s’attache à déblayer le pays de ses décombres sans délai d’attente. Il n’a pas à se trouver dans une gare de triage pour qu’on lui signale la voie qu’il doit emprunter pour rejoindre sa nouvelle destination. De même qu’une révolution n’a pas à être accompagnée ou pilotée par des experts autoproclamés pour l’insérer dans un processus transitoire devenu la seule alternative par leur seule volonté qui n’est en aucun cas représentative de la volonté générale.
Un véritable déni de démocratie. Comment ces instances peuvent-elles alléguer tirer leur légitimité de la volonté générale alors qu’elles ne sont que l’expression d’une stratégie opportuniste et clientéliste ? La représentativité ne se décrète pas, elle s’octroie. C’est le donneur d’ordres dans le cas d »espèce le peuple tunisien qui en fixe les modalités, le contenu et les objectifs. Il l’accorde à qui il veut selon ses propres critères et en fonction de ses propres besoins. Une représentativité qui enfreint ce principe d’habilitation ne peut qu’être qualifiée que d’imposture et d’usurpation de pouvoir. Il ne peut y avoir de représentativité qui ne reflète pas la volonté de celui au nom duquel on est censé problème agir. Une représentativité non-fondée sur la volonté de celui qui la dicte n’est rien d’autre qu’une représentativité viciée juridiquement et dont les effets sont nuls et non avenus. Les dérives antidémocratiques dont se sont rendues coupables ces instances et leur confiscation éhontée d’un mandat non octroyé et non validé par le peuple lui-même ne peuvent qu’être l’illustration parfaite du piège du processus contre-révolutionnaire dans lequel s’est enlisé la Tunisie. « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission » disait Georges Clémenceau et quand on veut casser l’élan d’une révolution on crée des instances chargées pour lui couper les ailes afin de lui inoculer les germes contaminés de la contre-révolution. Il est étonnant que toutes ces instances aient pu en toute latitude et liberté exercer un pouvoir au nom du peuple tunisien en l’absence d’un moindre consentement de la part dudit peuple et ce sans que cela n’ait heurté la vox populi. Elles ont accompli des missions de caractère de service public et réglementaire, voire quasi-législative pour la Haute Instance présidée par Yadh Ben Achour, dans un flou juridique total.
Elles semblent qu’elles ont elles-mêmes défini leur propre champ de compétences avec leur propre cahier de charges et la nature de leurs prérogatives sans l’intervention des autorités gouvernementales de transition, une véritable hérésie politique, les seules fondées juridiquement à émettre des décrets-lois ou prendre des arrêtés nécessaires à leur bon fonctionnement. On ne peut qu’être interpellé par la nature juridique de ces instances et la validité légale de leurs actes. Qui leur a conféré le pouvoir d’agir au nom du peuple tunisien ? Qui les a dotées de cette personnalité juridique dont elle ses sont prévalues ? Si l’acte fondateur provient de l’autorité gouvernementale de transition cela ne doit pas les exonérer de leurs devoirs de se soumettre à son contrôle ? Ces questions et bien d’autres qui peuvent paraître superflues mais dont l’examen est indispensable pour déceler les mécanismes pernicieux et pervers de l’échec de l’avènement de la démocratie en Tunisie.
En toute évidence, un tel désordre juridique et une telle désarticulation institutionnelle ne peut que déboucher inévitablement sur un chaos politique tel qu’on l’a constaté lors de la phase d’inscriptions sur les listes électorales et la confusion coupable entre la C.N.I. et la carte d’électeur. Ces instances de non-droit à défaut d’avoir contribué à l’éclosion de la démocratie en Tunisie, elles ont plutôt préparé sans qu’elle le veuille à la mise en oeuvre de la graduation progressive de la prise de pouvoir par la secte d’Ennahdha. Si transition il y a c’est plus pour servir les desseins d’Ennahdha et ses marionnettistes étrangers. Il fallait mettre la main sur le guidon de la révolution sans visages sauf ceux de ses victimes et blessés et y aller crescendo en préparant le terrain pernicieusement et institutionnellement au sacre d’Ennahdha. Ce qui aurait pu être un coup d’Etat de palais selon un scénario d’un film de série noire américaine, avec des acteurs de l’ombre qui intriguent pour assouvir leurs sombres desseins, on l’a habillé subtilement de l’habit révolutionnaire afin que cette révolution n’ait pas l’allure d’un coup d’Etat organisé au profit des seuls islamistes tunisiens couvés par la Maison Blanche, enrobé par un zeste de démocratie avec des faire-valoir tels le C.P.R. et Ettakatol. Il n’en reste pas moins que l’architecture juridique tunisienne telle qu’elle est apparue au lendemain du 14 janvier 2011 est l’exemple type de l’Etat de non-droit.
Caractérisée par une certaine forme d’inefficience et d’anachronisme juridique. Celui du règne de l’arbitraire et de l’absence d’un ordre juridique hiérarchisé indispensable pour le bon fonctionnement des institutions. Toutes ces instances chargées de la mission de l’accompagnement politique de la Tunisie dans le cadre de sa période de transition démocratique se sont trouvées à prendre des décisions de caractère public et de portée générale surtout en ce qui concerne les modalités du scrutin électoral du 2 octobre 2011 et à édicter des règlements quasi-législatifs sans qu’elles aient la moindre qualité juridique requise. Subséquemment, il est permis de douter de leur légitimité juridique. Dans un Etat de droit, elles peuvent être frappées de nullité.
La Tunisie s’est retrouvée, tel une hydre à trois têtes voire 4 avec les dérives sectaires incarnées par le mouvement d’Ennahdha, avec des organes juxtaposés et concurrents entre eux sans qu’il y ait des règles précises établissant une stricte hiérarchie entre eux. Chacune se veut indépendante de l’autre sans que cela ne soit établi par un quelconque texte quasi-législatif que seul le gouvernement est en droit de l’édicter. Paradoxalement, c’est le gouvernement dont elles veulent se démarquer politiquement et réglementairement en termes d’exercice de pouvoir et dans leurs propres statuts, à supposer qu’elles en aient, qui leur confère de surcroît leur acte de naissance juridique et partant de là la pleine mesure de leur identité politique. Cela relève de la schizophrénie juridique. En tout état de cause et quelle que soit la nature juridique de l’acte à l’origine de leurs créations, cet acte ne peut correspondre à la volonté générale dont il n’est pas l’émanation, loin s’en faut et satisfaire ainsi aux exigences des règles du droit public tunisien. Compte-tenu de la portée politique d’un telle mission confiée avec légèreté et un manque flagrant de transparence et de rigueur démocratique absolument indispensable dans le cas d’espèce, nonobstant ses conséquences incommensurables pour l’avenir juridique et politique de la Tunisie, nul ne saurait prétendre que tout a été fait dans le respect de la morale politique et du droit. La question de légitimité juridique et politique du gouvernement de transition n’est pas dénuée d’intérêt non plus du fait qu’elle touche au fondement même de la mise en place du processus démocratique en Tunisie.
Il n’en demeure pas que l’opinion semble s’en être accommodée en lui conférant une légitimité plus ou moins explicite. Mais toutefois, on ne peut se garder de s’interroger sur la validité juridique des actes commis par le gouvernement de transition. Rien ne saurait prouver que la période post-14 janvier 2011 s’inscrit dans la suite logique de sa révolution et dans l’esprit des exigences d’un Etat de droit. En effet, une révolution qui est par définition un séisme politique, une rupture totale avec le passé en termes de changements profonds dans les structures politiques, juridiques, institutionnelles, organiques ne doit pas donner lieu à un désordre juridique et institutionnel qui lui-même doit configurer et dessiner le nouvel habillage constitutionnel de la Tunisie. En conclusion, une révolution doit donner lieu immanquablement lieu à un nouveau contrat social entre les dirigeants bénéficiant d’une légitimité révolutionnaire et donc politique et le peuple souverain maître de son destin politique et propriétaire légitime du pouvoir que lui seul peut le concéder sous forme de mandats selon les modalités politiques et juridiques conçues ordonnées et définies par lui. Tous les actes accomplis en son nom se trouvent ainsi revêtus du sceau de légitimité démocratique. Or, on ne peut qu’exprimer des sérieuses réserves quant à la validité juridique des actes fondateurs du scrutin tunisien et de la viabilité de sa démocratie qui de surcroît sert de transition vers la création d’un régime théocratique. Ainsi, la transition prend tout son sens avec le passage d’un régime républicain, avec un ordre juridique de droit positif, au passage d’un régime s’appuyant sur la loi canon de la Charia.