L’oubli n’est pas le dernier ennemi des révolutions.Il en est parfois un acteur assez important.Ainsi, les peuples ont tendance à vite oublier une bonne part de l’essentiel non point de ce qu’ils ont vécu mais souvent et surtout de ce qu’ils veulent. Ce n’est certes pas qu’une simple défaillance de la mémoire collective. C’est tout simplement une manoeuvre de leurs vrais ennemis, en phase de révolution inachevée! J’aurai vite oublié qu’il ne s’agit là que d’une métaphore de fonction introductive si je n’ajoutais d’emblée que ce qui nous semble être parfois relever de l’oubli ou de l’indifférence en matière politique n’est pas forcémement le produit de la ‘mauvaise’ mémoire. C’est tout bonnement la résultante de deux éléments intimement reliés dans le cas de la révolution tunisienne: le rôle tout important de ce qu’il est convenu d’appeler la dissidence cybernétique et la récupération du souffle révolutionnaire par l’intelligentsia; mieux en mesure de maîtriser l’outil informatique, et plus généralement, médiatique. Facebook et les autres ne sont pas, contrairement à ce que de certains peuvent prétendre, victimes de leur succès. La révolution, elle, peut l’être par certains de ses aspects. Là où les exemples de ce que l’on appelerait par souci de métaphore OUBLI s’imposent, je n’en citerai qu’un seul cas mais de taille: le devoir, non pas de juger Zaba à la sauvette mais de le ramener d’abord en Tunisie pour l’y juger. Sans cela, la révolution n’aura de raison de se dire réussie.
Cette question n’est pas secondaire. C’est même à cet acte (et à son contraire) que se mesure toute la crédibilité non point du gouvernement mais de la révolution elle-même. En effet, un président n’est pas réductible au plus commun des citoyens; quel que soient ses défaillances et l’étendue de ses manquements. En ‘oubliant’ d’insister sur l’arrestation du dictateur et son jugement en Tunisie, la révolution s’égare dans les incertitudes les plus troublantes.Il est tout de même remarquable que telle n’est plus l’exigence de quelque parti politique et, naturellement, du gouvernement. Encore moins celle des ‘amis’ de la révolution, de droite, de gauche, d’ici ou de l’étranger! Arrêter le fugitif logé nourri, c’est sortir de tout oubli possible le besoin d’une justice autonome, d’un pays libre et souverain, d’un peuple qui sait ce qu’il veut, du besoin légitime de redonner à la révolution du sens historique et, tout simplement, de la véracité. Il ne peut y avoir de justice de fait si l’on continue à croire que finalement ce n’est pas le plus important. A poser en première position la demande de se faire délivrer le tas de dictature que porte et que symbolise cet homme de main, la Tunisie gagnera non seulement à pouvoir discerner qui est qui en Tunisie mais aussi qui fait quoi pour ou contre elle, en Tunisie et ailleurs. Les yéménites ont tout le droit de vouloir que leur ‘ex-président’ reste en A.S. Les tunisiens ont tout intérêt à ce que leur ennemi public N° 1 soit ramené en Tunisie pour être jugé pour ses actes. Cela n’irait pas sans quelques ’embarras’ diplomatiques – qui ne se limiteraient d’ailleurs pas au seul royaune Séoudite, mais cet acte vaut, pour la Tunisie, son peuple et bien au-delà, son poids d’or. Je ne sais si le maintien du même ambassadeur tunisien en A.S y est pour quelque chose mais ce ne serait là encore qu’un cas parmi mille autres, d’autant plus que ce n’est pas un ambassadeur qui fait une politique.Il est aussi notable que bien des voix se lèvent contre les accusations – de droit commun – pour lesquelles le dictateur a été jugé et pour des accusations politiques motivées mais que ces voix aussi ne demandent pas d’abord la ‘livraison’.
A ne pas l’exiger, les tunisiens, partis ou individus, admettent que leur révolution leur soit ‘enlevée’ des mains et de sitôt donc de la tête. Au fond, il ne s’agit pas de se débarrasser d’un dictateur, d’un individu, mais bien de juger la dictature en jugeant Ben Ali. A ne pas l’exiger, les tunisiens, admettront de fait que leur révolution se prive de toute dimension symbolique ou universelle, car que serait une révolution qui ne demande de compte à personne si ce n’est à quelques voleurs ou criminels de deuxième ordre, par comparaison au ‘Grand bleu’?!
Il y va bien de la valeur de cette révolution et de la dignité de ce peuple. Mettre le gouvernement provisoire face à cette exigence légitime et bien reconnue par le droit international, c’est le mettre face à son premier devoir national. De sa réaction dépendra sa crédibilité, à son échec à inscrire dans la priorité cette exigence nationale et surtout à obtenir vite gain de cause se mésurera sa faiblesse la plus criante en politique nationale et en relations étrangères. C’est tout de même assez parlant qu’un Etat puisse trouver ou ramener des milliards aux caisses de l’Etat provisoire et ne puisse ramener au peuple de la Tunisie un dictateur permanent qu’il n’a même pas à chercher!
Les démocraties qui, de pleine voix, ‘saluent’ la révolution tunisienne et ‘le printemps’ arabe seraient aussi face et à leur poids et à leurs mesures. Que l’A.S s’obstine à livrer le fugitif pour quelque motif embarrassera aussi le Royaume, certes, mais tel peut bien ne pas être un devoir tunisien; encore que toute révolution n’est universelle que dans la mesure où elle susceptible de faire, par la justice de ses causes et par ses succès, tâche d’huile.
Enfin, réussir à ramener Zaba – ce que le gouvernement tunisien ne situe aucunement en priorité et les tunisiens pratiquement plus, c’est faciliter la ‘livraison’ de bien d’autres fugitifs. Pour cela, il faut bien que les tunisiens d’abord, tous ces yeux qui se fixent sur les élections, admettent qu’il n’est pas là revanche béate mais besoin de remettre bien des choses sur pied. A cet acte, son évolution et ses aboutissements, toute une révolution s’évalue en concret.
Enfin encore, j’allais presque oublier les deux éléments interreliés: la récupération par l’intelligentsia de l’outil d’information cybernétique lui donne l’occasion de définir des priorités dans son seul ordre petit bourgeois ou pire. Elle a l’air d’oublier la première que Zaba n’est ni jugé pour ses grands crimes politiques ni, physiquement, jugé en Tunisie.
Elle regrettera bien cet ‘oubli’ intentionnel si un jour ce grand peuple dira, comme ou contre le Général, GHALTOUNI§
Personnellement, d’amour de la Tunisie, ZABA me manque terriblement. J’aimerai bien le voir chez nous et au plus tôt.Il doit avoir bien des choses à nous raconter de derrière les barreaux, cette mine d’à propos.