À l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, nous avons rencontré une femme singulière et plurielle.
Sa voix porte haut et fort ses convictions militantes. Elle enseigne, écrit et milite pour et avec les femmes qui se battent au quotidien pour se libérer de leurs chaines et souffrances afin de faire asseoir leurs droits et s’affranchir chacune à sa manière des carcans sociaux…
Généreuse et passionnée d’art, Mme Hanen MAROUANI nous a chaleureusement accueillis et s’est livrée en toute confiance à www.tunisie-news.com pour nous transporter dans sa rêverie militante et nous retracer son parcours professionnel, littéraire et militant…
Entretien
Parlez-nous de vous, de votre monde ?
Je suis chercheuse et docteure en langue et littérature françaises, traductrice littéraire et journaliste, et je viens de finir un séjour de recherche postdoctorale, à l’université polytechnique de Bucarest en Roumanie, où j’ai mené une enquête sur l’égalité femmes/hommes dans des contextes et domaines variés et multiculturels portant essentiellement sur la question de l’analyse du discours. Je suis également auteure de quatre recueils de poésie intitulés : Les Profondeurs de l’Invisible, publié en 2019 chez Edilivre à Paris, Le soleil de nuit, publié en 2020 chez Alyssa édition & diffusion à Tunis, Le sourire mouillé de pleurs publié en 2020 chez L’Harmattan à Paris et Tout ira bien…, paru en 2021 aux éditions Le Lys Bleu à Paris, également. Ce dernier a obtenu, le 8 mars 2023, le prix international poétique de la revue poéféministe Orientales de la part de la Société Internationale d’Etudes des Femmes et d’Etudes de Genre en Poésie (SIÉFÉGP), à Grenoble.
Déclic, mon cinquième recueil plurilingue est en cours de publication. Deux ouvrages scientifiques sont à paraitre très prochainement en France.
Mon monde est constitué d’un quotidien qui n’est pas facile du tout. Je lutte chaque jour pour travailler dans des conditions qui me permettent d’être plus productive et plus épanouie que ce soit dans mon travail de recherche ou de création ou dans ma vie quotidienne. Un combat que je mène depuis des années sans aucun vrai soutien ou une véritable reconnaissance. Je ne suis pas forcément responsable de ce qui m’arrive mais je le suis toujours de ce que j’en fais. Je rêve d’un monde où le travail ne pourra plus nous rendre malade tant j’ai souffert de discrimination, d’injustice, de favoritisme et de harcèlement.
Je fais tout ce que je peux pour évoluer et me forger du néant. Après des années de désengagement, j’ai repris goût au travail par : l’apprentissage constant, l’écriture et la création de liens avec des personnes plus épanouies, plus équilibrées et plus performantes pour bien profiter de ce qu’il y a de meilleur dans la vie tant que ma santé le permet encore.
Comment êtes-vous arrivé à la poésie et comment vivez-vous en poésie ?
J’y suis arrivée petit à petit. En douceur et soudainement. Les deux à la fois. J’ai commencé par un manuscrit inachevé que j’ai écrit depuis longtemps qui contient même des poèmes produits depuis mon enfance et mon adolescence qui s’intitule « Les Profondeurs de l’Invisible ». Le jour où mon premier manuscrit a été accepté par le directeur des éditions Edilivre à Paris, c’était l’entrée dans le monde de l’édition et de la publication. Ensuite, des propositions d’autres écrivains, journalistes et universitaires qui m’ont encouragée et conseillée de penser à publier d’autres recueils et d’autres livres. J’ai donc pris au sérieux ces belles flammes et je me suis dit que ce serait une bonne idée et une belle aventure à tenter. Je garde dans mon âme et dans mon esprit que la poésie peut être accessible à chacun d’entre nous. Une phrase que j’ai déjà dite avant et que je redis encore, aujourd’hui. Ce sont des débuts sans cesse recommencés mais le moment où on réalise qui nous sommes vraiment, on commence à savourer plus les mots simples et authentiques, les moments personnels et poétiques de notre vie : une éclaircie inespérée, un coup de tonnerre dans le ciel, une impression rare et intense, une émotion forte et unique, un papillon qui se pose sur nos épaules…
Et puisque chaque jour doit être vécu en poésie, je partage avec vous le poème de Paul Eluard qui synthétise ma vision de la poésie :
« Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur et le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et
Certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amis »
Pourquoi vous êtes-vous engagée en faveur des droits universels et des libertés fondamentales ? Quel a été l’élément déclencheur ?
Merci pour cette belle question. Parfois, j’évoque des situations que j’ai vécues ou traversées, d’où l’origine autobiographique de certains de mes textes ou de mes interventions mais cela ne nie pas qu’il y ait une part commune avec les autres femmes.
Mon engagement à moi, c’est de ne pas me conformer aux injonctions de la société et d’essayer d’être toujours engagée pour lutter contre les discours haineux, le racisme, la misogynie, la rivalité féminine, le harcèlement pour promouvoir les valeurs humaines et les belles énergies. Par ailleurs, plusieurs projets et partenariats auprès des jeunes, des étudiants, des professionnels, des parents…se créent, se consolident et se poursuivent. C’est pour vous, pour nous et pour moi aussi.
Vous vous êtes engagée dans le combat féministe. Quelle fut votre rencontre avec le féminisme ? Comment portez-vous la voix des femmes aujourd’hui pour lutter contre les stéréotypes, les tabous et les idées reçues sur le genre dans nos sociétés si peu égalitaires et paritaires ?
La rencontre avec le féminisme consiste à trouver nécessairement une voie pour être libre et indépendante après plusieurs contraintes et expériences douloureuses. Ceci remonte déjà à mon enfance. Il s’agit bel et bien d’un trait lié à mon expérience personnelle. L’absence d’un père ou d’un mari correspond naturellement à un manque d’énergie masculine qui peut empêcher l’évolution, la construction ou la résilience d’une jeune fille surtout par rapport à la confiance en soi. Ce n’est pas seulement mon cas car j’ai rencontré pas mal de femmes qui vivent cet archétype dans le schéma familial en Tunisie et à l’étranger. Elles sont souvent dans la solitude. La souffrance est accentuée encore plus lorsque la figure paternelle ou maritale a été « présente » mais toujours nourrie par le besoin ou l’envie de rabaisser et de maltraiter. Je vois donc dans le féminisme cette nécessité pour la femme de se débrouiller toute « seule » pour quitter l’enfer et avoir le courage d’ouvrir de nouvelles portes sans dépendre de l’attention ou de l’amour d’un homme.
Actuellement, Je suis en train de finaliser un ouvrage rassemblant les parcours des Tunisiennes créatrices, artistes et dynamiques un peu partout dans le monde dans le domaine de la culture et de l’écriture francophones. Trois années de travail c’est dur, mais j’éprouve une grande satisfaction et surtout une grande fierté d’avoir eu la chance de mettre en lumière le travail de plusieurs profils de femmes tunisiennes ou d’autres nationalités : talentueuses, méritantes, puissantes, résistantes, indépendantes et déterminées. J’ai pris un plaisir immense à rencontrer, à découvrir et à interviewer ces « sœurs » si différentes mais qui me ressemblent beaucoup par leur attitude positive, par leur polyvalence et par leurs efforts fournis et unis pour soutenir la Tunisie, Notre Chère Patrie, partout dans le monde et qui mérite toute notre solidarité surtout dans cette période délicate. Je me sens si fière de voir rayonner ces voix et plumes tunisiennes féminines et féministes au-delà des frontières. Un vrai honneur pour moi et pour nous !
Quel regard portez-vous sur la femme africaine ?
Aujourd’hui, la femme africaine est un modèle à suivre dans le leadership féminin. Elle impose du respect. Son courage, son endurance, sa persévérance, sa capacité d’adaptation, son mode d’organisation astucieux ont fait d’elle un être exceptionnel. C’est vrai qu’il y a plusieurs obstacles à l’épanouissement de la femme en Afrique à cause de la pauvreté, du mariage précoce, des violences sexuelles, de l’éducation…mais la femme africaine est combative, débrouillarde et dégourdie.
Vous avez remporté le prix « Europoésie UNICEF Paris », dans sa nouvelle édition de l’année 2022, organisé par l’UNICEF chaque année sous le titre « Protection de l’enfance ». Quelle image gardez-vous de ce prix ?
Tout à fait. La fin de l’année 2020 était pleine de belles surprises. J’ai eu la chance d’avoir deux prix de la part de l’UNICEF Paris. Le 1er Prix de la Francophonie pour l’ensemble de mes activités et de mes écrits et le 2ème Prix dans la catégorie de la poésie libre pour mon texte intitulé : « Le temps qu’il nous reste ». Je suis très active dans le domaine de l’associatif depuis mon jeune âge surtout au profit des droits des enfants. Ce prix est un couronnement de tout un parcours de convictions surtout quand il est question de soutenir des sujets et des activités sur les différentes formes de familles, la place de l’enfant et la prise en compte de ses opinions sans écarter les situations de violence, d’instabilités et de discrimination qui menacent le bien être et la sécurité de l’enfant.
Ce genre de reconnaissance ne peut que me rendre heureuse et fière surtout à l’échelle internationale. En Tunisie, beaucoup de médias en ont parlé et cette considération a intensifié mon bonheur et mon honneur parce qu’on appartient à la Tunisie et la Tunisie nous appartient.
Vous avez eu l’occasion d’être invitée en tant femme de lettres à l’étranger. Dans quel cadre était-ce ? Comment votre participation se déroulait-elle ? Quels souvenirs gardez-vous de votre participation ?
Dans le cadre de la célébration du mois de la Francophonie le 20 mars 2022 et particulièrement le 21 mars qui est la Journée Mondiale de Poésie, j’ai été invitée en Roumanie pour organiser le concours « Francophonie, Pandémie et Francophonie » adressé aux étudiants et aux lycéens francophones de la région de l’Europe centrale et orientale et pour présider un jury composé de différentes personnalités et nationalités avec la collaboration et le soutien de l’Agence Universitaire de la Francophonie (BECO). J’ai également participé le 10 novembre 2022 aux Jeudis de la Francophonie, une rencontre qui a eu lieu dans la prestigieuse Bibliothèque Centrale Universitaire de Bucarest en tant qu’écrivaine tunisienne aux côtés d’autres écrivains et artistes francophones venus d’autres pays.
À l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, votre recueil « Tout ira bien… » vient d’obtenir le prix international poétique de la revue poéféministe Orientales de la part de la Société Internationale d’Etudes des Femmes et d’Etudes de Genre en Poésie (SIÉFÉGP), à Grenoble. Quel est le registre dominant de ce recueil ? Quel message avez-vous voulu transmettre ?
J’ai écrit et publié Tout ira bien… pendant la période de confinement à Milan. Il rassemble des textes en prose poétique qui portent sur l’espoir et la résilience comme je le retrace parfaitement d’ailleurs dans le titre inspiré du slogan des Italiens tout au long de la pandémie :
« Andrà tutto bene… ». Amour, immigration, traumatismes, féminité et féminisme restent toujours mes sujets de prédilection peu importe le contexte ou le livre. Quant au registre dominant de ce recueil, je vous cite un extrait de la note de lecture de mon livre réalisée par la poétesse franco-tunisienne Arwa Ben Dhia :
« Sa lecture est une halte rafraîchissante dans une course effrénée contre le temps. Ce livre est d’un lyrisme poignant, où la légèreté des mots rivalise avec la beauté des images. Le lecteur ne peut pas rester indifférent à la douceur des métaphores, à l’élégance des anaphores dont raffole la poétesse, ainsi qu’à la spontanéité » des rimes libers et diverses, qui ne sont jamais forcées, et qui semblent toujours arriver naturellement. On y apprécie aussi plusieurs jeux de mots habilement employés. On est saisi par la finesse du style de l’écrivaine et surtout touché par son optimisme. C’est un livre à savourer lentement (ou pas d’ailleurs, chacun à sa guise), à lire et à relire sans modération. Personnellement, je l’ai à mon chevet et en lis parfois quelques poèmes avant de dormir, mais on peut le lire à n’importe quel moment de la journée pour s’apaiser, pour s’évader… », Arwa Ben Dhia, « Il a fallu gérer la peur avec « Andrà tutto bene… » de Hanen Marouani, Le Pan Poétique des Muses, article mis en ligne le 4 décembre 2022.
Où peut-on trouver vos écrits ?
Mes livres publiés en France comme Tout ira bien…, Le sourire mouillé de pleurs et Les Profondeurs de l’Invisible sont disponibles dans toutes les librairies françaises et sur les sites officiels de mes trois éditeurs français : Le Lys Bleu, L’Harmattan et Edilivre. Vous pouvez les trouver aussi sur les sites de La Fnac, Amazon… Quant à mon livre Le soleil de nuit, il est disponible chez les grandes librairies de Tunis, Sfax et Sousse ou chez mon éditeur Alyssa édition & diffusion.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Je tire mon inspiration d’images qui me traversent et qui peuvent être des souvenirs, des flashbacks, des petits bonheurs, des rencontres imprévues, des détails insignifiants, des rêves, des projections … Il y a également beaucoup d’histoires qui m’ont vraiment interpellée et qui m’ont démontrée le besoin crucial et l’importance de rester en connexion avec moi-même, avec le monde et avec les autres. C’est à partir de ce moment où on ose libérer la parole et les émotions surtout lorsqu’on nous a appris à les retenir qu’on réalise comment se libère le potentiel qui conduit vers des actions constructives et positives. On a tellement de possibilités et de magies dans nos sensibilités pour créer des pépites et des merveilles. Il faut juste savoir les suivre et bien les saisir.
Quels penseurs et écrivains vous inspirent ?
À chaque fois qu’on me pose cette question, je cite directement Albert Camus puisque j’ai passé plus de quatre ans à travailler une thèse sur ses quatre récits : L’Etranger, La Peste, La Chute et Le Premier homme à part les participations aux séminaires, aux conférences et aux colloques autour de certaines thématiques qui touchent à l’intégralité de son œuvre. C’est une habitude liée à la lecture universitaire sans doute. Donc, citer cet auteur humaniste se fait assez naturellement.
Heureusement, j’arrive encore à lire pour le seul plaisir de lire ou de découvrir des nouveautés. La lecture nourrit le travail intérieur qui n’est pas toujours un travail conscient. Quand je lis des livres, des romans, des recueils ou des les écrits de la nouvelle génération, il m’arrive souvent de repérer telle ou telle histoire ou pensée ou phrase ; en effectuant une sorte de projection intérieure ou une identification. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela m’apaise et me donne des ailes. Une part de moi existe quelque part et cela est la magie des Arts.
Quelle a été l’importance des voyages dans votre carrière ?
C’est certes qu’on peut voir dans l’activité de l’écriture une projection du voyage. Pourtant, celle-ci relève bien du monde intellectuel et sensible. Le fait qu’il y ait un passage d’un mot à une phrase, d’une phrase à un paragraphe et d’un paragraphe à une page ; c’est un cheminement et un déplacement d’un endroit à un autre en suivant le clavier ou le stylo sur et dans l’espace de la page blanche. Notre passage dans cet espace laisse des traces et c’est la même impression ressentie le long d’un voyage réel. Le voyage dans ses diverses et multiples façons, nous forme et nous apprend une manière de vivre plus ouverte, plus humaniste et plus enrichissante. C’est la découverte qui est l’élément le plus important à retenir dans la notion du déplacement et du voyage surtout quand ils sont accompagnés d’une projection spatiale d’une intériorité à travers les mots, les souvenirs ou les moments de partage…
Quel est votre livre préféré et pourquoi ?
Le Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry n’a jamais quitté ma table de chevet. Il a influencé ma façon d’aimer qui consiste à permettre à l’autre d’être heureux, même si son chemin est différent du mien et même s’il a des aspirations différentes des miennes. Ce point-là m’a inspirée pour un bon nombre de mes écrits et même dans la vie.
Cette œuvre résonnait avec mes propres questions et convictions sur le rapport au monde. Je suis une bonne lectrice de l’autofiction ou de la littérature autobiographique et des anthologies de poésie féminine. Mais pas uniquement.
Ce que j’aime dans l’écriture personnelle c’est la trace de la vulnérabilité, la sincérité qu’on y décèle. Il y a donc une identification assez forte, alors même qu’il n’y a pas de « personnage » auquel s’identifier, mais des sentiments, des émotions et des vécus familiers.
Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Mon cinquième recueil de poésie plurilingue « Déclic » et deux ouvrages scientifiques sont en cours de publication. Des soirées de lecture poétique, des conférences, des publications, des vidéos…Et le meilleur reste à venir et à vivre !
Un dernier mot pour vos lecteurs ?
Je voudrais saisir cette occasion pour exprimer ma gratitude pour toutes les belles personnes que j’ai eu la chance de rencontrer, de connaître et d’accompagner durant toute ma vie. Merci à tous ceux et à toutes celles qui m’ont permis d’avancer parce qu’ils ont vraiment cru en moi sans aucune contrepartie et surtout sans chantage émotionnel. Redonner tout ce que j’ai reçu de bien et d’utile et aider les personnes qui ont besoin d’aide ou d’un coup de main pour devenir la meilleure version d’elles-mêmes est une belle mission offerte par la vie. Un bonheur, un honneur et une énorme fierté pour moi.
Merci à vous, Ghofrane pour ce bel échange et permettez-moi de finir par cette citation qui appartient à M. Luther King :
« Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »