Il y a un peu plus d’une année, les masses tunisiennes provoquaient, de crise et de défaites prolongées, la révolution qui fit déguerpir un dictateur de mauvaise réputation.Un processus révolutionnaire s’est déclenché. Les élites – partis, formations, groupuscules et associations – ont rejoint le mouvement de façon plus déclarée et se transformèrent – au rythme assez accéléré des premiers exploits populaires – en leaders du mouvement, reléguant de la sorte la volonté populaire au deuxième plan. Bref, plutôt que de laisser agir les masses avec leur bon sens du quotidien, les opportunistes de toute gamme vinrent dans la confusion régnante s’interposer entre l’Etat -débris et les masses.La révolution est ‘déléguée’. Ce mal est ancien et presque inévitable. La question n’est donc que de degré.
Il y a cependant cette inaliénable maladie ‘adulte’ des élites les plus opportunistes: leur abus de la division du travail. Ils s’y inscrivent, hélas, de fait et d’intention et il est de leur nature historique de pratiquer le ‘courtage’.
Sur bientôt 400 jours, la Tunisie balbutie et se donne passive à la volonté de ses nouveaux ‘maîtres de l’illusion’. La droite et la gauche – termes que je n’emploie ici que de convention consacrée- font le même jeu, avec cependant des avancées pour la première. Les élections ont porté la Nahdha au pouvoir. Il ne peut être que légitime, de par le même critère convenu.
Ces mêmes élections que, néanmoins, trop rapides et qui, comme le répétaient les piliers de l’Etat post-révolutionnaire, voulaient ramener la paix sociale, affichèrent aussi par leurs résultats, les défaillances de la gauche tunisienne. Émiettée, malade, peu apte à toucher des réalités socio-politiques et souvent trop verbale. C’est à cette gauche à jamais battue que manque la pratique politique. Elle n’est pas pauvre dans sa ou ses ‘théorie(s)’. Elle est en disette pratique, handicapée dans son exercice social, donc dans ses capacités à se transformer en force de changement réel.
Faute de faire la révolution, elle se plaît à en critiquer infiniment le parcours. Dans sa diversité si étalée, elle n’épargne rien de ses forces-réflexes. Elle n’évolue que dans ses propres ombres.
La droite se serre les rangs nourris de sa victoire. La gauche se serre les dents de ses défaites. A cela, je crois, une bonne raison: la main mise de ses chefs ‘historiques’. En effet, ils sont parfois légitimes mais l’évolution de tout phénomène historique suppose toujours des changements. Aujourd’hui, une quête acharnée mais somme toute mensongère et impuissante s’ouvre pour du travail de front mais c’est toujours sans le travail de fond: la rénovation des comités exécutifs de certaines forces, l’ouverture réelle sur les jeunes, l’autocritique constructive, l’élection transparente des comités et sections, le passage à une politique rationnelle et sans tabous idéologiques et surtout et d’abord l’admission tranchée du fait universel que les élites secondent les révolutions mais ne les font jamais.
On a beau dire ou admettre que cette pensée est anarchiste. C’est, pour ceux qui connaissent l’anarchisme, tout faux. Bien au contraire, l’idée n’est pas en ceci de défaire l’Etat ou les partis ou syndicats, mais d’en faire des outils plutôt que des fins ou des boutiques pur ‘prêt-à-porter’. Les partis politiques à l’oeuvre (bien mauvaise) bloquent le processus de régénération politique. Ils tuent les espoirs en en arrachant les mobiles. Ils faussent les parcours en vue de compromis historiques tout déplacés. Ils tirent profit mineur d’un processus majeur. Ils volent au seul secours de leur ‘clan(s)’ de bons parleurs et de leur désir de paraître! Ils sont à critiquer en public, et sans exception aucune, car ce n’est qu’à ce prix que la pensée et l’action politique libératrices évolueront. Plus de ‘castes!’ devrait être l’ordre du jour socio-politique tunisien et ce n’est surtout pas l’affaire des vrais-faux académiques amadoués et très tricheurs, par nature ou position.
Sans cela, non seulement la révolution tunisienne continuera à ‘se déplumer’ de ses souffles radicaux mais elle se coupera totalement des masses populaires. Il n’y aura alors que des politiques ‘argentées’, fausses, aliénantes et ce sont bien celles-là mêmes qui étouffent les libertés individuelles et sociales et qui, de fait, réduisent très largement la possibilité de libération nationale dans un contexte international miné des abus des puissances de long terme.
IL est en effet capital que les élites rejoignent leur peuple dans sa guerre contre la pauvreté, l’injustice, le déséquilibre régional, le sous-développement et la dépendance systématique mais il y a bien un sens à tout cela et qui exige de la réflexion, de la mesure et de la concertation. Les anciens chefs ont failli à ces devoirs. Ils étaient fondateurs ou précurseurs mais cela ne leur donne en principe aucun droit à la pérennité. Il ne peut tout simplement y avoir de révolution de jeunes avec des vieilles directions! Cela ne devrait pas exclure les vieux chefs. Au contraire, cela doit les rassurer si la politique est bien celle de servir et non de se servir. Les sociétés ne sont pas affaire à projection. Elles sont tout simplement à faire. Et par elles-mêmes. Ceci suppose évidente l’idée de donner place première à ceux qui, se joignant aux masses dans leurs identités comme dans leurs souffles et leurs projets, s’arment d’abord de modestie, de réalisme et de savoir-faire. Les jeunes en sont, de fait, plus capables. Le leur dire sans leur laisser la place, c’est les tromper!
Une remarque enfin: A se laisser abuser de leurs droits, comme à croire vital de e s’afficher en miettes, les jeunes non plus n’auront que fatalement gain de cause. La nomenclatura est présente partout. Le système se tient comme toujours et le capital international ne lâchera prise que face à la marche des masses mais jamais aux discours ou fantasmes ‘raisonnés’ des élites vagabondes!
Soyons vrai, c’est tout simplement s’admettre utile mais sans monopole. C’est croire en ses forces mais en les faisant et non en se les inventant. Soyons vrai, c’est tout simplement faire contribuer à faire la révolution sans la prétention d’être le seul à devoir la faire et rien que pour soi; bref à la défaire en soustraction ou par blocage consommé.