N’a-t-on besoin en cette Tunisie encore à refaire que de « militants »? La Révolution s’est faite par et pour le peuple. L’élite, qu’elle l’accepte ou le réfute, a failli à ses obligations politiques. Elle s’est laissée traîner dans la boue que la Réaction – pouvoir en place, alliés de tous bords, tranches les plus jaunâtres de l’UGTT, associations civiles plus roses que rose et ‘révolutionnaires de bois’ – lui a à sa taille façonnée. Plutôt que de rejoindre la lutte populaire et y apporter sa contribution utile, l’élite politique s’est encore une fois donnée au verbe et à la multiplication plutôt qu’à l’union. Il faut d’abord admettre, pour s’en convaincre, que ce n’était pas sur le terrain des faits ou de choix définis ou encore de tâches révolutionnaires d’action politique que cette ‘gauche’ très malade s’est désunie mais bien sur le seul terrain du discours et, pire, sur les thèmes que la Réaction a, en manoeuvre politique, choisis de poser sur scène. Perdues dans des controverses somme toutes d’ordre général, législatif ou tout bonnement théorique, les forces susceptibles de changer en profondeur la Tunisie politique, se sont faites absorber par le bouillon post-révolutionnaire qu’elles n’ont su gérer que vraiment à distance.Il est un fait tout à fait remarquable que les forces dites de gauche se noient si vite dans des eaux qui ne cessent de les porter loin de leurs repères. Il est temps de voir pour voir plutôt que de continuer à ne voir que pour decevoir.A quand l’autocritique? Personnellement, je n’en vois pas ou qu’absolument très rarement. Or, les faits sont criants: les manifestations ‘trop minoritaires’ ne l’étaient qu’à défaut de concertation.L’attitude somme toute confuse vis à vis de la constituante est cause d’ambiguité et de division à tout contre-temps. Le débat d’ordre philosophique ou surtout idéologique du genre ‘identité, religion, modernité et autres ‘turbulences’ n’est d’actualité que dans la mesure où les forces réactionnaires elles-mêmes, à commencer par l’Etat et ses alliés, en veulent pour détourner les acteurs sociaux de toute action concrète de nature à poser sur le terrain de la lutte socio-politique des ’causes’ en leur milieu et en leur temps. la ‘guerre’ ouverte’ aux autres forces politiques est par ces mêmes critères déplacée. Là où la Tunsie a besoin de rassembler ses forces populaires pour que celles-ci se remettent en marche et bousculent l’Etat dans ses manigances et le mettre à nu comme ce fut le cas, par exemple, pour Kasba 1 et ailleurs aux tous premiers pas post-révolutionnaires, les forces de changement réel s’affichaient de plus en plus exclusives. Quelles réactions cette ‘gauche’a-t-elle eu vis à vis de ce qui se passait en Egypte, au Yemen et surtout en Lybie? Aucune, en somme si ce n’étaient quelques bribes de phrases au travers d’opinions individuelles. Ne fallait-il pas crier fort le rejet de toute dictature et à plus forte raison des plus sanguinaires. Ce qui n’a eu eu de cesse de se passer en Syrie est une tuerie systématique d’Etat mais cela ne semble guère mériter réflexion et, plus concrètement action politique. Ce qui se passait et se passe toujours en Lybie est du même ordre d’ensemble, indépendamment des visées ‘colonialistes’ somme toute évidentes du capital international dans sa version la plus conservatrice ou ses colorations localisantes.
Nourries à l’éparpillement, les forces dites de gauche agissent toujours en dehors de tout souci d’alliance, ponctuelle soit elle ou de court, long et moyen termes. Exception faite du mouvement étudiant libanais des années 70s, l’esprit ou la méthode alliance politique n’a jamais fonctionné dans le monde politiquement sous-développé. L’une des raisons probables de cette défaillance de taille est justement que les forces politiques sont plus enclines – y compris et surtout par leur système de fonctionnement interne – à la division qu’à l’union. C’est aussi l’une des preuves de la nature des combats qu’elles mènent: L’idéologie plutôt que la politique. Il y a certes lieu à admettre que si la démocratie -révolutionnaire et non d’affiche – y manque, c’est pour une bonne part parce qu’elles sont elles-mêmes victimes de premier ordre de la dictature qui en remplissait les prisons mais cela n’explique pas tout. Bien des mobiles se saisissent encore dans la conception même de l’action politique que dominent chez les ‘militants’ leurs tendances de nature ou de modèle élitiste.
C’est déjà l’une des caractéristiques ou contradictions de fond de la petite bourgeoisie en général mais tel n’est pas ici le propos tant cet article exclut d’emblée de ses intérêts toutes les formations réactionnaires de discours comme d’acte. C’est à cette partie supposée capable d’animer et de faire avancer le processus révolutionnaire que ce texte s’adresse d’abord. La liste des lieux de défaillance politique sur la seule étendue des mois écoulés depuis le 14-01-2011 est déjà trop longue et est loin d’être exhaustive. Le ‘détournement’ de la révolution continue et de plein fouet et la dite ‘gauche’ y participe lourdement. C’est dur à admettre mais c’est un fait de politique comme de société et ce n’est pas par manque d’horizons ou de tâches urgentes que ce mal-être continue mais bien par cet esprit dominant du ‘militantisme’ utopique qui n’arrive toujours pas, hélas, à se défaire de la veille image du chef et du clan. Il n’y a que le peuple qui réussit une révolution. Ne pas le comprendre ou le comprendre mais ne pas agir en fonction ne serait que Réaction accablante en habits de révolution manqués. La révolution a marqué des pas. Elle est bien capable d’en marquer d’autres et des plus importants. La Tunisie a besoin de ces forces pour changer. Elle ne changera cependant que lorsque ces mêmes forces changent non point d’âme ou de projet social mais de méthode d’action en définissant leurs priorités, en articulant davantage leur travail, en accordant son importance politique à l’alliance comme outil d’efficacité socio-politique, en s’ouvrant sur le monde pour soutenir les combats de libération sociale ou nationale, en évitant le ‘centralisme’ des époques de bonne lurette et en se concertant en quête de plate-formes réalistes d’action politique plutôt que de s’enfermer sur des programmes idéologiques de partis. Bref, en faisant de la politique. Je comprendrai bien l’action ‘discrète’ en temps de dictature déclarée. Je comprends mal l’action sécrète sur le chemin même de la conquête de la première condition de l’action révolutionnaire: la liberté d’expression. Les forces de changement réel n’ont pas à défaire leurs convictions ou choix de société. Elles sont néanmoins appelées à se défaire de leur inertie de fait que ne peut cacher la ‘chaleur’ de leur discours et encore moins la ferveur ‘exlcusioniste’ de leurs militants les plus aliénés, moins par excès d’utopie ou de goût de changement que par manque de réalisme social et d’efficacité POLITIQUE.Vive la Tunisie qui en pensant se fait amie sincère de la liberté, de l’égalité, de la justice et de la dignité individuelle et nationale.