Silence, on tourne ! Nous sommes le 15 aout 2011..

Il est onze heures. Je suis sur la place Mohamed Ali. Une cinquantaine de personne chantonnent sans grand bruit quelques slogans comme dans un échauffement timide.Je ne vois pas de flics ni d’agents de sécurité devant le siege de l’UGTT.

Des passants traversent la rue en s’arrêtant posent des questions et reprennent leur route.

Je m’adosse avec ma fille sur le mur qui fait le coin avec la rue Mongi slim et celle de la place Mohamed Ali et qui nous fait de l’ombre sous ce soleil tapant d’aouessou(aout).

Il fait particulièrement chaud ce matin.

Il est onze heures ou presque lorsque le sol bouge et que le ciel s’époumone de chants d’abord loin puis de plus en plus rapprochés qui nous arrivent du bas de la rue Mongi Slim.

Une masse sombre avance sur nous.Ce sont les manifestants devant le palais de justice que nous attendions. De Bab Bnet, ils ont remonté à pied la rue de Bab Souikha puis le tunnel pour finaliser à la rue Mongi Slim dans un cortège qui enfle et grossit dans une ambiance allègre pacifique sans précédent. Il n’y a aucune violence aucun casse tout le long des quelques kilomètres à déambuler avant d’arriver jusqu’à nous.

Un cortège digne d’une vierge qu’on marie dans un parfait consentement: celui des avocats dans leur uniforme en premier rang, de quelques partis politiques magnifiquement drapés de couleur du drapeau, des citoyens civils comptant des jeunes beaucoup de jeunes combien beaux de moins jeunes des femmes des hommes et mêmes de vieux.

En chœur et dans une masse unique homogène, nous crions en une seule voix mon slogan préféré:

Naame sanamoutou welékinana sanktaliou edholma minardhina

Oui nous allons mourir mais nous arracherons l’injustice de notre terre

Sans aucune consigne pilotés par un puissant sens inexpliqué d’enivrement, nous nous empruntons la rue qui mène droit sur la grande avenue Habib Bourguiba. Nous traversons les magasins ouverts, leurs vendeurs souriants à leur porte les passants et les caméras des médias professionnels ou d’occasion qui filment dans la bonne humeur la manifestation.

Je suis aux premiers rangs emportée comme aux premiers jours de la révolution en janvier.

Je chante dans un cri et répète avec mes concitoyens les mêmes slogans transportée par la même verve la même poigne la même force. Je ne me reconnais plus la femme d’il ya un an si réservée et tellement effacée.

Je suis comme contaminée, le virus de la liberté est si puissant qu’il nous fait oublier la fatigue, le jeûne pour certains car nous sommes au mois de ramadan qu’il est midi et que le soleil frappe toujours chaud en ce mois d’Aout.

Je m’arrête sur les marches de la cathédrale pour attendre une amie sur facebook.

Je regarde défiler amoureusement la masse mouvante.

Nous nous rencontrons finalement.

On a beau dire, cette révolution reste unique car elle a le don de nous souder lorsque tout appelle à la dispersion à nous ramasser lorsque notre effritement est presque imminent. Je me jette dans les bras de Imen, elle se jette dans les miens.

Hilares heureuses comme de vieilles amies et malgré notre différence d’âge, nous sommes en extase.Nous goûtons au délice de la concrétisation du virtuel de l’amitié grâce à un écran fb mais surtout cette bénite révolution.

Nous rejoignons rapidement le groupe qui allonge sa reptation vers le théâtre municipal sous les regards complaisants des militaires et des policiers.

TAC!!

Je demande à ma compagne l’origine de ce bruit qui ressemble à celui d’une balle.

Elle me dit de ne pas m’en inquiéter et que c juste du fouchik celui que les enfants raffolent à détoner à chaque ramadan.

Une autre détonation et une odeur nauséabonde et combien devenue habituelle à mes narines en de telles occasions, celles des bombes lacrymogènes. Les tirs se succèdent déchirent le ciel et nos espérances dans un effet de surprise désolant.

Il y a des jours qui ne devraient pas se lever !

J’ordonne à ma fille de revenir en arrière ainsi qu’à mon amie Imen. C’était la dernière fois que je la voyais pour la journée.

Nous nous sommes malheureusement perdues aussi vite que retrouvées.

Quelques avocats dans leurs robes noires essayent de nous apaiser et nous demandent de ne pas reculer.

Je deviens sourde pilotée par un unique instinct de survie pour ma gamine que je traîne dans ma folie d’idéal de justice et de liberté.

J’assoie le tout dans une course effrénée et fonçons à deux dans le monoprix d’à côté fraîchement retapé après les pillages du mois de janvier. De mon refuge vitré, je reste un pas dans la rue un autre vers l’intérieur, la lacrymo fait son effet et du coup, la plupart commence à tousser et pleurer. Nos yeux sont rouges piquent douloureusement ainsi que nos gorges mais la tension est tellement forte que nous sommes comme anesthésiées. La caissière tape mes deux cocas le regard rivé vers le dehors.Ma fille en asperge généreusement tous ceux qui arrivent de la rue à percer le rideau de fer que les agents de la sécurité baissent et lèvent dans des ordres contradictoires.

Nous tous dedans sommes tenus comme dans un même souffle à ces jeunes gens en fuite qui courent vers le haut de la rue Jamel abdenaceur assiégés par de flics sortis de toute part en motos en camions blindés et en civils. L’air n’est plus que lacrymo, le ciel est noir de détonations comme avant un orage mais cette fois en plein milieu d’un soleil brûlant. Nous oublions la faim, la soif et le jeûne, nous n’avons plus d’ouïe de yeux de pouls que pour ces jeunes que les flics pourchassent et qui hurlent et qui crient.

J’en aperçois un que les matons encerclent.IL hurle à genou et haut les mains qu’il est un vendeur ambulant (nassabe)et désigne de tous son corps tremblant sa marchandise éparpillée.

Nous tremblons lâchement pour lui mais nous nous calfeutrons fortement derrière notre porte métallique.

Le silence est compromis lâcheté et couardise..

Le silence est attente et fractionnement..

Le silence est mort à petit feu.

Nous jonglons comme des bêtes en cage vers les deux grandes portes du centre commercial l’une qui ouvre sur la rue charles de gaulles, l’autre sur la rue Jamel abdenaceur.

Des deux rues, l’une n’a rien à envier à l’autre:même topo même scènes de lâcheté et de méprise même raids violents de la part des policiers.

Il y a plus d’une heure que nous sommes là enfouis comme des rats.

Le ton monte, l’énervement commence à gagner.

Nous commençons à entendre des tirs de pierre.

J’engage un million de yeux vers les deux rues, le spectacle est désolation.

Les rues sont vides.

De part et d’autres se tiennent à coup de tirs les flics et les manifestants.

Cette fois, ils ne sont plus que des jeunes bien enrôlés aux jets de pierre et à la course.

Une avalanche de projectile répond aux tirs de bombes de lacrymo.

Certains soufflent que des balles réelles circulent chez les policiers, d’autres que ce sont des balles en plastiques. Nous regardons un jeune homme d’à peine vingt ans défier seul et mains nues un casque bleu caché derrière une armature blindée. Ses collègues s’amènent et violentent le jeune homme de leurs matraques.

Je hurle je pleure psalmodie des versets du coran mais rien ne sort de ma gorge et l’enfant continue à se faire tabasser tête haute en hurlant sa colère et son indignation. Ils sont à plus d’une dizaine pour le fourrer dans leur camion blindé.IL continue à se débattre vaillamment mais que peut la souris devant le géant.

Petit est celui qui se prend pour hercule lorsque blindé, il se mesure à un nain un sans arme un pacifique qui manifeste et qui ne possède que le son de sa voix pour riposter au son de la matraque et des tirs.

C’était d’une gratuité et d’une violence inouïe.

Des fauves affamés de coups et de blessures se déchainent dégainent leur haine meurtrière sinon comment nommer cet abus de force et de violence. Ce n’était qu’une belle manifestation pacifique.Les journalistes, la presse étrangères, les vidéos d’amateurs peuvent en témoigner.

Les idéaux sont à l’épreuve des balles.Les tirs arrivent parfois à se calmer puis reprennent de plus belle comme si une force occulte les animent.

On souffle que les combats sont maintenant plus virulents vers la place MOngi slim.

Je prends peur pour ma voiture que j’ai par mégarde garée dans une rue perpendiculaire à la place Mongi slim.J’attends un moment d’accalmie et je sors lâchement de ma cachette d’occasion en courant sous les arcades.

La rue port de France est déserte de ses habituées et gagne en laideur face à un envahissement de casque bleus de BOP de policiers de tigres noirs et de flics cagoulés.

Un projectile s’arrête net à mes pieds.Je file direct encore me cacher cette fois dans une pâtisserie au rideau à moitié baissée.

Des passants avant moi y ont déjà pris refuge. Chacun de son côté balbutie une prière. L’ambiance est parjure et cris. Ceux de ces gens que des flics ont surpris cachés dans un square sous les arcades qui ouvre sur les deux rues. La matraque semble cravacher leurs corps, des femmes des hommes humiliés crient. Nous nous terrons encore plus lâchement dans notre misère..Nous n’avons plus de yeux pour épier ni de cœur pour soutenir juste des hommes amoindris gravement petits.Un tigre bleu marine ou noir je ne sais plus nous surprend et fait irruption dans la patisserie.

Un silence meurtrier plus long que nos vies nous partage nos jambes prêtes à détaler à chaque minute.

IL nous dévisage aveuglé par la pénombre demande de l’eau pour se laver les yeux piqués par le même poison qu’il desservait aux manifestants. Le proprio lui désigne les wc.

Il ressort sans un mot.

Les mots n’avaient plus leur place.

Nos silences parlent pour nous.

Le monde va mal et nous le savons mais ce que nous ne pouvons imaginer, c’est cette quantité de violence et de matraquage à deux et plusieurs sur des mêmes hommes qui sifflaient des rêves de liberté de justice, les pierres et les ripostes sont venus en second plan et cela, la plupart peuvent le confirmer.

Je ne suis pas pour la violence ni pour les affrontements.

Je ne suis rien qu’une simple citoyenne animée par un béguin frivole fou de liberté et de justice. Ces jeunes m’ont transmis leurs rêves et je m’en retrouve étrangement aliénée.

Est-ce un si grave délit de s’accrocher à un rêve ?

Le peuple rêve d’idéaux.

Il rêve de monde meilleur, d’équité, de justice, de liberté.

Il rêve de ne plus craindre son gouvernement et son régime policier.

Il lui faut plus qu’un gouvernement.

Il lui faut de l’espoir.

Est-ce trop demander ?

J’engage un œil au dehors par une fraction de pause où chacun prend le temps de charger d’un côté les pierres de l’autre les bombes lacrymogènes et les pierres récoltées.Un policier est blessé au visage, son nez coule de sang. IL se rabat en arrière, des soins lui sont vite donnés. Deux tampons hémostatiques et il repart plus virulent sur le champ d’action qui est la rue où parque ma voiture.

Je tremble de peur pour mon tas de ferraille.

J’ai peur pour mon gosse parti tôt ce matin et que j’ai fièrement salué en clignant des yeux lorsque je l’ai aperçu donnant le bras à un avocat d’un côté et à un médecin de renommée de l’autre aux premiers rangs.

J’ai peur pour ma fille qui se coltine à mon bras.

J’ai démesurément peur mais lorsque nous atteignons le summum de la peur, nous versons dans le contraire.Nous devenons comme affranchis de cette peur et n’avons plus peur surtout de nos idées pour les affranchir et que nous n’avons plus peur de mourir pour elles alors nous devenons libres entièrement libres..

Ni lacrymo ni balles ni matraques ne nous atteignent plus.

Nous redevenons libres et c’est un mot unique magique formidable sensuel massif envahissant puissant impétueux.

Je verse dans cette musique lorsque j’avance escortée du proprio vers les flics et leur dis

ne tirez pas, je veux aller chercher ma voiture

un flic ahuri chef de la brigade me toise.

Je soutiens son regard.

Il hoche de la tête prend son mégaphone et hurle aux manifestants de l’autre côté de la barrière, c’est une citoyenne comme vous elle veut rentrer arrêtez les pierres nous ne tirerons plus.

J’avance comme sidérée car je suis dans la fiction cartainement

Accompagnée du même homme qui me souffle de ne pas courir, je presse malgré tout.

Je jette un regard devant moi.

La rue marchande connus pour ses tissus ne contient que le monsieur et moi et un monticule de pierres de toutes tailles.

Je regarde les manifestants, je lève mes deux cocas achetés contre les effets de la lacrymo en haut les mains et je hurle je suis avec vous ne tirez pas.

Un chef de bande me dit de ne pas avoir peur, le flic derrière me soutient de sa voix.

A cette minute, l’air, mon cœur s’est arrêté de battre.

Qu’est-ce qu’il fallait à ces hommes pour se retrouver ?

Pourquoi fallait-il qu’ils se déchirent ?

Pourquoi le policier était-il obligé de faire le méchant, le vil, le chien lorsqu’il suffit d’un instant pour se poser réfléchir et essayer la non violence pour contenir une manifestation qui d’autant plus s’annonçait dés le début pacifique ?

Pourquoi ces ordres du gouvernement pour encore frapper, battre et rabaisser ?

Fallait-il plus d’humiliations et d’injustices pour ce peuple longtemps opprimé ?

Plus de vingt trois années sombres de dictature !

Fallait-il à ce gouvernement transitoire cette insignifiante volonté cruelle de déploiement de force pour plus le mater ?

Fallait-il plus de violence et de répression pour l’humilier et l’opprimer ?

Ce gouvernement censé faire justice du moins ne pas la retirer et encore l’interdire car elle se doit de défendre les hommes les femmes et nos idéaux.

Je remonte dans ma voiture et si j’exhibe dans cet écrit ce détail combien futile et mesquin devant ces vies qu’on truande, ces hommes qu’on rabaisse et qui ne reculent pas, c’est pour dire qu’en cette fraction de seconde tellement insignifiante digne de la fiction en ces instants de terreur l’homme chien a été capable de rengainer sa haine et sa violence pour hurler et reconnaître que l’autre le manifestant qu’il frappait c’était le peuple auquel j’appartenais et duquel il se départait. Combien contradictoire est l’homme assujetti.

Je n’aime point être à sa place dans ce relan d’humanité ou de vérité seulement ce policier y –a-t-il pensé ou réfléchi un seul instant ?

Je récupère mon engin, ma fille dans sa cachette et traverse en trombe et contresens toute l’avenue Habib BOURGUIBA sous le nez des quelques voitures qui étaient prises dans la contremanifestation et des policiers occupés à fouetter les manifestants.

Je n’ai plus d’yeux, de cœur qu’à rentrer, fuir l’horreur et intercepter mon aîné de qui je n’ai plus eu de nouvelles.

J’ai entendu à la radio qu’un homme s’est jeté du haut d’un immeuble et que son suicide a juste coïncidé avec la manifestation.

Rien à voir avec les policiers.

Je veux bien tout croire et assimiler.

Je ne suis ni légiste ni psy pour analyser les conditions de la défenestration ni le défenestré.

Je ne cautionne ni la violence ni l’horreur.

Je ne suis ni pour les casseurs ni pour les pillages.

Je ne suis ni pour la matraque ni les tirs.

Je ne suis ni pour sebsi ni pour tout autre..

La politique n’est pas mon fort, l’humain oui!

Je suis une simple citoyenne aigrie qui prend peur au quart de tour mais à qui un 14 janvier des gosses ont appris à rêver…

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