La révolution pratique III

La religion politique, encore une chance pour la révolution.De certains s’étonneront de ce titre. Ils n’auraient pas tout à fait tort en s’arrêtant au terme chance. La suite ‘pour la révolution’ devra pouvoir relativiser leur étonnement et, peut-être, les inviter à commencer par le commencement:

Pour bien trop longtemps, la pensée religieuse se proposait en alternative socio-politique. Dans le monde arabo-musulman, c’est même une histoire bien vieille avec toutes les tentatives réformistes des premières et dernières heures, toutes les frustrations historiques et de tous genres, le colonialisme, les débacles post-indépendance(s),les dictatures de tous discours et vents et aujourd’hui encore la dépendance, l’impérialisme de milles mèches et messes, l’occupation, les crises si aigues et tout ce ‘cholestérol politique’ qui boûche terre et artères, d’un bord comme de l’autre.

Pour éviter la polémique à contre-temps ou pied, nous ne chercherons pas appui dans le discours idéologique et faisons par souci d’économie table rase d’arguments anciens et souvent non moins métaphysiques que cette pensée elle-même, du genre ‘opium ou pas, consolation, dépassement, compensations secondaires, récupératio de la souffrance, transcendance et autres pierres-clichés du bâtis discursif aujourd’hui de fibre assez consacrée. Nous chercherons plutôt appui dans l’économie, la politique et, bien entendu, la société.

Les cas, fort intéressants, qui s’offrent dans l’actualité mondiale laissent voir en premier plan une situation de crise profonde et généralisée. A la base, un système injuste qui, pour des siècles, fait sa loi: le capitalisme comme mode de production et de domination aux deux échelles nationale et internationale. Une minorité qui s’enrichit ( à multiplier par le nombre de pays) et des majorités nationales qui s’appauvrissent à divers degrés. La chute du mur de Berlin – résumé de la fin de la bipolarité purement idéologique – s’est avérée plus déstructurante pour la Capital. Victoire courte, elle se transforme aujourd’hui et en moins d’à peine deux décennies en crise ouverte. Ce n’était pas que le Capital ignorait ses intérêts de fond mais il est de sa nature de porter en lui et en tout temps les germes de sa déconfiture. Ainsi, avec un pôle unique, il s’ouvrait simultanément deux chantiers énormes: la montée des concurrences internes (centre et périphéries) et l’absence – ou disons la défaite – des formes ‘étatiques’ de son opposé idéologique ou, tout simplement, politique. Bref, disons encore en résumé ‘le socialisme officiel ou d’Etats’.

Le premier chantier, la guerre intra-capitaliste, produisait saturation de marché, contre-façon, guerres stratégiques, protectionisme de tous alibis, spéculation foncière et financière, montée des nationalismes, conflits teritoriaux et la liste est longue.

Le deuxième gros chantier est encore plus imperméable. Le récul affiché du ‘socialisme dit scientifique duquel les Etats bureaucratiques offraient – la propagande capitaliste aidant – un spectacle désolant de perversité durable, devait donner lieu – du moins le temps des remises en cause – à d’autres alternatives. Contrairement à ce que Nietzche annonçait, Dieu n’était pas mort. Le même capitalisme l’entretenait à merveille, d’une manière, d’ailleurs, ou d’une autre. Ce même ‘radicalisme religieux’ a servi dans toutes les batailles du capitalisme contre ses ennemis d’hier (en Afghanistan contre l’URSS, en Pologne, en URSS au temps de et d’après Gorbatchev, au Pakistan, en Iran etc…) et d’aujourd’hui (Tibet, Somalie, Cuba, etc…). A l’évidence, les temps ont changé et les marges se sont un peu trop réduites. Les guerres internes fragilisent davantage le capital si accroché à ses intérêts sous la tente bien ancienne mais de nom nouveau ‘la globalisation’. Cependant, les méthodes demeurent en somme les mêmes: l’aliénation en temps de paix relative, la guerre en tant de crise aigue.

Il y a cependant cet élément tout essentiel qui me paraît avoir pour autant de temps échappé à l’attention de la pensée radicalement réaliste mais aucunement de compromis: le fait que tous ces mouvements religieux sont – et d’ailleurs se déclarent – politiques. Ils ne proposent pratiquement rien en économie comme en politique – et surtout en société- qui s’oppose réellement au mode de pensée et d’action capitalistes. En ce sens, le tort des forces anti-capitalistes et anti-domination n’est pas de ne pas reconnaître la religion dans ces mouvements mais de ne pas admettre leur nature politique. On le dit souvent mais à tort car le plus souvent en insulte. Or, il s’agit d’admettre que ces mouvements ne font de religion qu’à titre d’outil politique. Je ne m’en servirai pas personnellement pour les accuser de ‘tricher’ avec le peuple ou pour le tromper, car ce sera toujours un argument faible et d’allure morale, donc de nouveau métaphysique, mais je m’en servirai volontiers pour mettre en relief le fait que comme forces politiques, ces mouvements font partie, mais dans des sociétés d’économie faible et de petites périphéries, des conflits internes au capitalisme avec, cependant, tout le soin qui s’impose de distinguer deux types de sociétés: les sociétés de mode de production et de gestion capitaliste et les pays sous-développés mais fortement dépendants du capital.

Traiter ces mouvements de mouvements politiques et non point de mouvements religieux me paraît pouvoir remettre sur pied une approche qui évoluait renversée. Cela permet de juger de leur action politique sans l’enveloppe métaphysique qui imposait de critiquer -en vain- leurs programmes célestes plutôt que de voir leur action de terrain (ou de terre). Cela permettra de voir leurs alliances d’ici-bas plutôt que de s’aliéner dans l’abstraction la plus vague de leurs rapports à Dieu et aux anges. Cela permettra surtout de voir en quoi ils relayent – parfois de projet et souvent de fait – l’action capitaliste; quoique sous des formes variées.

Il est tout de même assez remarquable qu’en Amérique centrale et du sud les conflits et la lutte anti-capitalistes aient la coloration la moins religieuse au monde et que c’est, contrairement, en Afrique, en Asie et en Europe, que Dieu est beaucoup plus présent sur la scène politique.

Le capitalisme ne peut vivre sans ennemis. Ils les a toujours crées. Sans le ‘communisme’, il se devait donc d’en trouver d’autres. Il créa les reflexes nationalistes ou des ‘guerres de civilisations’. encore un outil d’aliénation et surtout un marché de guerre, d’armes, de destruction et de ‘reconstruction’. De toutes pièces, il monta la grosse ‘bulle ensanglantée’ du terrorisme. Cela a pu mettre de concert centre, périphéries et toutes formes d’Etats, mais, consommé à fond – y compris avec des catastrophes guerières aussi importantes que la guerre Iran-Irak, les deux guerres du Golfe, des Balkans etc…- la crise n’est pas pour autant résolue. Le capital ne peut se passer de la guerre (Plus de 260 conflits régionaux en moins de la moitié d’un siècle et il y revient de plus fort) mais sa crise est désormais beaucoup plus grave pour pouvoir financer avec autant d’acharnement les guerres qu’il mène. Il en mènera d’autres par procuration mais il semble trouver gain meilleur à ses trouver des managers locaux pour ses propres crises et à plus forte raison dans ses rapports avec les sociétés qui en souffrent le plus, donc les plus en voie de rébelliion.

Les temps ne sont pus aux dictatures à visage découvert.

Le capitalisme n’a plus les moyens pour ses guerres.

Les peuples bougent. Les dictatures classiques chutent.

Et ce n’est pas un hasard que les mouvements crus religieux affichent en projet-d’Etat, aussi bien en Tunisie qu’en Lybie, en Egypte, probablement en Syrie et bientôt ailleurs en Afrique, comme déjà au Soudan, mais aussi en Europe et en Asie (Turquie, Bosnie, Indonésie etc…) de plus en plus de modération. Pour le capital, les modérés de demain ne sont pas des dictatures classiques comme il y en avait et il reste plusieurs mais des ‘islamistes étatisés’. La nature du capital ne changera pas mais c’est le concept même de ‘modération’ qui glissera vers l’ennemi déclaré d’hier devenu l’allié soutenu de demain.

Cela peut prouver au moins que ces mouvements sont mais des mouvements politiques, (les observateurs auraient vite noté les divergences de programmes et des choix ‘politique de ces mouvements d’un pays l’autre; ce qui témoigne encore de leur nature politique),que le capital n’assume aujourd’hui la mondialisation qu’à défaut de moyens de se garantir les vieux monopoles, que sa crise est beaucoup plus profonde que cela ne s’affiche déjà en gras et enfin qu’il n’a aujourd’hui de solution que d’attiser les conflits régionaux et de nourrir les guerres civiles.

En quoi Ennahdha, les frères musumans et les autres mouvements similaires en Lybie ou ailleurs qu’en Afrique, sont-ils une chance pour la révolution?

En temps de crise aussi importante, tous ces mouvements plus ou moins en vogue, pourraient ne pas épargner d’efforts pour ‘gouverner’ mais ils n’auront tout simplement pas les moyens de résoudre les problèmes économiques et sociaux auxquels ils devront faire face. Ils promettront la lune, ils ne quitteront pas le réformisme le plus élémentaire. Ils n’offriront que trop peu d’initiatives et encore moins d’emplois et de justice sociale; car tel n’est pas leur souci premier. Ils agiront dans la dépendance. Or, c’est bien dans l’indépendance de fait que les peuples évoluent. Plutôt que d’offrir des solutions radicales, ces mouvements-gouvernements offriront de nouveaux exemples de la défaite annoncée du capitalisme dont ils ne sont encore qu’un nouvel outil.

Sans trop d’optimisme, je pense que, comme le capitalisme pôle unique, leur victoire ne peut être que courte. Qu’ils gouvernent renforce, rien que par l’admission des résultats des boites, la pensée démocratique. Les forces de changement réel n’auront plus des guerrres idéologiques à mener mais des constats politiques à établir. Ils apprendront davantage par les défaillances pratiques de leurs gouvernants de parenthèses.

En effet, nul ne peut aujourd’hui douter du choix majoritaire des ‘religieux politiques’ et qui répond à un besoin social que le capital a crée par le défi des identités nationales ou culturelles comme par les privations matérielles. L’organisation assez développée des mouvements politiques d’appelation religieuse, l’émiettement de la ‘gauche’ et les promesses de la droite trouvaient écho dans les attentes parfois trop fertiles des masses mais il est souvent plus facile de promettre que d’honorer ses engagements électoraux. Tant mieux s’ils y parviennent. Mais j’en doute assez fort. La chance, pour la révolution, est de pouvoir continuer mais à partir de faits plutôt que d’hypothèses, de constats réels plutôt que de spéculation métaphysique. Des léçons d’une défaite acquise, la leur, et d’une défaite annoncée, celles des gouvernants nouveaux, il devait se créer un projet plus solide pour une révolution que l’on sait déjà irréversible.

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