Je m’appelle Jihed Mabrouk

Je m’appelle Jihed Mabrouk né le 14 / 01 / 1987 de la chebba. Ce même 14 m’a fait ressortir dans la rue pour dire non à ben ali ainsi que tous les jours d’après comme ce terrible jour du 26 février 2011.Ce matin là, je suis sorti avec des amis manifester sur la grande avenue habib bouguiba.des slogans scandaient le ciel mettant à nu le gouvernement de Mohamed Ghannouchi qui venait de tomber la veille et la passation sordide à sebsi qui ne me réconfortait point.

J’avais toujours encore mal pour mon pays qu’on violait de part et d’autres. J’avais encore peur pour mon peuple qu’on malmenait de droite à gauche. Le pays vivait un accouchement des plus hémorragiques et aucune délivrance jusque là annoncée n’arrivait à m’apaiser.

Beaucoup de compromis, de non dits, de moisis, d’intox, de viols des doits de l’homme, de la liberté d’expression, de meurtres et de lapidation se croisaient au nom de la sainte révolution.

Aussi ai-je décidé ce matin encore de sortir avec mes semblables crier Non.

Je ne savais pas que derrière ce droit à la manifestation se cachait un sordide traquenard.

Je ne savais pas que derrière ces camions blindés sensés nous sécuriser se cachaient des meurtriers.

Je ne savais pas que derrière ce box de Tunisiana en face de la somptueuse cathédrale se tissaient bien à point les barbelés de ma ruine.

Je n’ai souvenir que de ce froid avant coureur dans le dos qui arrive sur moi comme un glacial pressentiment qui vous donne l’impression brusquement dans cette avenue surpeuplée que vous êtes seul face à la géhennée.

Je n’ai souvenir que de ce dernier souffle intrus qui déchire suffisamment ma solitude pour me sauver et tomber raide mort à mes pieds.

Je n’ai souvenir que de ces sans visage cagoulés sortis de la boîte rouge me visant en pleine gorge sans pitié.

J’arrive pas à hurler car la balle tueuse m’a atteint de plein fouet faisant d’une pierre deux coups une pour moi qui m’a juste transpercé pour se loger après m’être retourné dans le cœur de cet inconnu:mon sauveur.

Je ne me souviens pas avoir crier.

Je ne me souviens pas avoir chialer.

Je ne me souviens plus de rien que de ce » cours, cours » interne pour échapper à mes meurtriers qui couraient sauvagement me rattraper.

Je ne me souviens plus que de ce instinct de survie herculéen en moi qui m’a traîné me tamponnant le cou de mes deux mains ma vue embuée de sang dans un dernier effort vers le monoprix pas très loin.

Je me terre au mieux dans ce coin du monoprix empêchant de plus en plus faible mon sang de gicler.

J’étais déjà ou presque de l’autre côté.

J’entendais déjà ma mère qui me pleurait envoyant des yous yous déchirant le ciel comme on fête chez nous les martyrs de Dieu: les Chouhédés.

J’entendais déjà les soupirs de mon père dans son salon de coiffure : « la Palestine » culpabisant pour avoir souffler petit en moi sa flamme révolutionnaire à chaque coup de ciseaux qu’il donnait.

J’aimerai me soulever une dernière fois et lui dire: Papa, tous les coiffeurs et les coiffeuses ne sont pas des vendus !

Je me voyais hué sur cette civière en bois recouvert de ce drap vert ramenée de la Mecque me promenant non lavé dans mon sang une dernière fois dans les rues de ma Chebba adorée.

J’entendais déjà les cris, les chants implorant le Rahméne.

J’entendais déjà ceux de l’autre côté qui déjà m’attendaient pour me réceptionner.

Ils ont tous l’air flous debout et loin mais je ne sais pas pourquoi.

Je n’arrive pas à me frotter les yeux.

Je ne vois pas très bien mais je suis sûr d’avoir aperçu mon ami mon compagnon mon double Mohamed Hanchi qui est tombé hier une balle meurtrière dans le cœur pas très loin d’où je suis tombé et de cette statue en marbre gris ou noire de l’avenue, je ne sais plus. Ce que je sais, c’est que j’aurai aimé être pris tué à sa place moi qui toujours le devancer pour le couvrir et toujours le protéger.

Je ne veux pas aller à ses funérailles. Je ne peux pas.J ‘ai honte. J’aurai dû plus le protéger.J’aurai dû mourir à sa place.

Hey Mohamed attends moi. Je ne veux pas vivre sans toi.

Je ne me le pardonnerai jamais.

Une, deux, trois personnes, une nuée courent de part et d’autres s’approchent de moi me secouent, me touchent, me palpent, crient que mon cœur bat encore.

Pourquoi faut-il que ces gens arrivent ?

J’étais bien avec mes morts !

La suite est vulgaire faite de soins médicaux de tréfonds de pourriture de déni et de beaucoup douleur.

Je suis encore en vie alors que j’aurai tant aimé être mort.

J’aurai aimé ne pas avoir cette chance de retrouver ma mère qui n’arrête pas de pleurer en évitant de me le montrer, mon père qui n’a plus son goût des ciseaux- la passion de sa vie, mes amis aux visages attristés devant mon corps maigre, mon sens de l’humour évaporé, mes dépressions et cet appétit de la vie perdu à moins de vingt cinq ans.

J’aurai aimé partir avec mes morts parceque eux au moins, ils ne m’aurait pas censuré, ni désavoué ni refusé ce malheureux statut de blessé de la révolution.

J’aurai aimé mourir pour ne plus avoir à mendier la pitié de ce gouvernement autiste et gurmand.

J’aurai aimé ne jamais avoir à déranger des gens simples mais tellement généreux comme madame Samira ou Ahlem venus à me secourir et m’aider.

J’aurai aimé dire enfin à Dilou et les autres que je ne veux plus de leurs belles paroles ni de leur charité.

Je suis Tunisien blessé par une balle de charognier vêtu de noir et cagoulé sensé représenter la police dans les suites d’un 14 janvier non encore définitivement expulsé.

Combien l’homme aux gouvernes est sans cœur et sans cervelle car refuser de statuer des civils tombés par balles à n’importe quel moment de la révolution signe que lui aussi n’est pas statué, qu’il n’a aucune légitimité ni devant son peuple jamais mécréant ni devant Dieu qu’il tiendra responsable de ces bourdes et de ces dénis.

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