A l’exception des épisodes historiques où l’humanité n’a pu trouver son salut hors intervention divine, l’essentiel des transitions sociétales ayant succédé aux basses conjonctures historiques passait par un processus intelligible consacrant l’invention de modes nouveaux d’interactions entre la collectivité humaine et son environnement.
Le mouvement allant progressivement vers l’amortissement du choc, laisse place à un équilibre plus ou moins instable et évolutif, avec tendance à l’auto régulation conformément aux principes de la thermodynamique. Si dans les conjonctures lointaines, la destinée des collectivités humaines n’était que peu conditionnée par l’interaction avec d’autres collectivités et que le retour à l’équilibre pouvait se faire selon le principe de la thermodynamique de Lavoisier, avec l’interdépendance croissante, le processus de stabilisation est d’une complexité telle qu’il requiert une démarche s’inspirant de principes plus complexes propres à la thermodynamique des systèmes ouverts.
A la lumière d’un juste diagnostic des énergies et des forces en jeu, le traitement des dysfonctionnements à l’origine des déséquilibres passe par un établissement rigoureux de la séquence des liens de causalité multi variables entre les composantes du système, en distinguant l’endogène de l’exogène. L’application d’une philosophie inspirée des principes de la thermodynamique ne doit cependant faire abstraction de ce qui distingue l’espèce humaine de la matière. Le rééquilibrage des systèmes humains requiert une gymnastique cérébrale dépassant le simple fait d’agir sur la matière, puisque l’on doit intégrer dans le processus ce qui est propre à l’homme, par essence de l’ordre du non quantifiable, et dont le traitement requiert de ce fait la présence d’esprits de philosophes et penseurs aptes à la prospection intuitive, capable de hiérarchiser avec rigueur scientifique et philosophique le prioritaire de l’accessoire, le rationnel de l’irrationnel, le juste de l’injuste, le matériel du spirituel….
Si l’explosion se produit en l’absence de maturité intellectuelle et spirituelle en proportion avec la complexité du désordre sociétal en présence, l’issue sera difficile à trouver, voire impossible. La difficulté est d’autant plus probable, que la logique des rapports de force en présence l’emporte sur la volonté commune d’évoluer vers un nouvel équilibre sociétal, guidée par la quête d’une humanisation des rapports sociaux de la société en devenir, supposant une refonte de fonte en comble du modèle de stratification sociale, en vu de permettre l’émergence d’une société plus équilibrée, donc plus égalitaire, dont la hiérarchie de valeurs est de nature à placer l’homme au centre des nouvelles orientations stratégiques. Le préalable à de telles orientations suppose un certain degré de maturité au niveau des trois piliers suivants.
1- Une aspiration sans faille au changement: ce qui suppose la conscience et la volonté collective de réformes sociale et sociétale avec engagement de tous les niveaux de la stratification sociale dans le mouvement en cours;
2- Un charisme ayant à ce point fait ses preuves de manière désintéressée, pour pouvoir fédérer l’unanimité au point d’être perçu comme secours providentiel incontesté et incontestable;
3- Un bouillon de culture et un mouvement d’idées, propre aux penseurs, que la pensée philosophique place de facto dans une espèce de sphère de veille intelligible désintéressée, incompatible par essence avec toute course vers le pouvoir.
Si la maturité est plus ou moins acquise la contribution des trois piliers à l’invention du nouvel équilibre se fera tout naturellement par l’enjeu des réagencements des énergies en présences. Le troisième pilier étant le garant de la mise en place progressive du nouvel équilibre sociétal. Il puise une légitimité implicite auprès des deux autres piliers qui y voient le support indispensable à l’accompagnement des mutations. Etant davantage mordu par le savoir que par le pouvoir, par le spirituel que par le matériel, le philosophe s’improvise tout naturellement en tant que sagesse inspirant le charisme dans la construction de la juste trajectoire réformatrice. Puisant le sens de sa doctrine dans l’œuvre philosophique, le charisme s’en nourrit implicitement. Par ailleurs toute société en mutation est de facto une société en questionnement. Le philosophe a cet avantage de répondre aux préoccupations de la conscience collective, se sentant interpellé par la masse en quête d’une nouvelle configuration sociale sans pour autant en trouver la bonne voie, au moment même où elle est s’interroge au plus profond de ce qu’elle a d’existentiel.
A ce titre, nous pouvons dire que la pensée et le mouvement d’idée sont le support par excellence de la psychanalyse indispensable à toute société en mutation ou en devenir. Par cette double légitimité, la penseur philosophe est accepté implicitement comme maître d’œuvre (1) du pilier du nouvel équilibre sociétal, sans qu’il n y a de demande ou de contrat sollicité par le maître d’ouvrage. Le maître d’ouvrage étant bien entendu, le nouveau charisme tout comme la société toute entière. Ce consensus et cette acceptation de facto du philosophe agissant/interagissant tout naturellement sur son terrain dans un mouvement évolutif, est la condition de réussite de toute mutation sociale. Au fur et à mesure que l’interdépendance entre variables présentes se complexifie, la tâche du penseur s’en trouve plus délicate à assumer et à accomplir.
Le plus souvent, ce qui est en cause ce n’est pas son incapacité de s’attaquer à l’interdépendance ou à la complexité de la situation, mais bien la nature des forces et énergies en présence.
Si ses forces manifestent une résistance destructrice au changement, cette résistance pourrait déboucher sur l’avortement des mutations, quand la situation est davantage régie par une logique de rapports de force, que d’aspiration au consensus sur un nouveau mode sociétal équilibré. Il arrive que le rapport de force frappe au cœur même de la state sensée être une des pièces maîtresses à adhérer au mouvement des idées, pour ne pas dire à en être le moteur. Une telle configuration se présente, quand le système pré existant a tellement œuvré pour neutraliser les esprits, que toute émergence de mouvement d’idées s’avère difficile, voire impossible. Tel est le cas, quand l’élite se laisse entraîner dans la logique utilitariste, au sens donné par Alain Caillé, qui prédit la faillite de toute société qui se résigne à guider ses actes selon une logique de l’intérêt matériel. Mais la pensée utilitariste des élites est-elle seule responsable de l’impossibilité des mutations sociales? Elle n’est certes pas la seule, mais elle reste le baromètre de la sclérose de toute société. Au-delà de ce qui a été dit par Ibn Khouloun quant à la corrélation entre le libre arbitre et la destinée de l’individu et de la société, et au même titre que d’autres penseurs contemporains, Ivan Illich nous présente depuis des décennies les dangers de la massification, de l’institutionnalisation et de la standardisation assassine du géni humain à tous les niveaux. L’étude de l’œuvre de ce philosophe visionnaire nous indique les méfaits de la programmation des esprits à distance, qu’induit la mondialisation. Il développe le concept d’Iatrogénèse, que l’auteur définit comme étant la cause de la perte de tout esprit créatif et critique, en raison d’une poussée à l’extrême de la dépendance institutionnelle pour tracer la destinée de l’homme, au gré du bon vouloir de la logique de la consommation de masse, qui se généralise à tous les domaines d’activités humaines.
Les conséquences induites par cette institutionnalisation poussée, est assassine du génie humain, puisque toute chose est réduite par la logique marchande à ce qu’elle est susceptible de générer en tant que gain matériel immédiat, au mépris de ce que représente la richesse humaine dans le patrimoine de toute société. N’ayant échappé à telle logique, le savoir est devenu à son tour un moyen de prestige social qu’une voie de développement de l’être dans son intellect et sa spiritualité. Sans trop m’arrêter sur les dégâts que telle logique a provoqué dans notre pays, il suffit d’observer l’incompatibilité entre l’armée de chômeurs, et les besoins du marché de l’emploi, pour nous rendre compte à quelle point l’inflation des diplômés sans valeur en Tunisie, s’avère un fardeau social à plus d’un titre. Ce fait est loin d’être le seul indicateur des conséquences de l’instrumentalisation du savoir, qui était depuis des années dépouillé de toute sa noblesse, étant donnée que ses milieux ont accepté de se laisser flétrir face au despotisme. La transmission du savoir de manière mécanique a tué les esprits critiques au point qu’outre l’appropriation par les élèves et étudiants d’un savoir à restituer aux maîtres pour garantir la réussite, aucun acquis ni dans l’être ni dans le développement des structures mentales n’est garanti aux masses. L’absence depuis seize mois d’un mouvement d’idées dignes du contexte que traverse le pays en est une preuve sans appel.
Où sont donc nos docteurs? Où sont donc nos universitaires? Où sont donc nos chercheurs qui emplissent les laboratoires et qui pompent des moyens collossaux dans le budget de l’état? Qu’est ce qui aurait pu bien les empêcher au lendemain du 14 janvier d’ouvrir l’Agora qu’impose la profonde mutation nécessitée par la crise profonde ‘une société laissée en ruine après la fuite du déchu? Pourquoi nos intellectuels ont omis de se proposer en conscience et moteur de la dynamique des esprits citoyens, pour accompagner l’émergence de la société civile en devenir? Pourquoi n’ont-ils cherché la proximité avec la base pour transmettre le fondement de la démocratie? Nos intellectuels savent pourtant que toute démocratie passe par l’indispensable entraînement à la responsabilité citoyenne, laquelle présuppose une implication directe du citoyen dans la réflexion pour la concrétisation du nouveau modèle social à mettre en place. C’est dans l’opposition faite par Eric Froom dans son ouvrage « Avoir ou être », entre l’acquisition du savoir selon le mode avoir et celui du mode être que l’on peut trouver l’explication à la crise philosophique et sociologique tunisienne. L’acquisition du savoir étant davantage inspiré du mode de l’avoir, le savoir se présente comme arme de compétitivité et de prestige que comme moyen de développement humain et social. Les disciplines sont fragmentées et interdites de synergies fécondes d’idées et de bien être spirituel. L’atomisation de la société crée un état de déliance telle que les scientifiques se voient davantage comme des étrangers que comme des êtres appartenant à une seule communauté qui est celle du savoir. Pour en savoir davantage sur les conséquences des groupes sociaux qui se laissent aller dans la déliance, consultez l’œuvre de Marcel Bol de Bal qui a consacré des années de travaux sur la question.
Cet état de déliance a largement conditionné l’impossibilité du tunisien de saisir les limites de son rôle dans l’accompagnement des mutations en cours. Plutôt que d’oser la prise d’initiative dans un esprit de collaboration, otage de l’héritage de l’ère déchue, la méfiance, l’absence ou la concurrence l’emportent sur le souci d’ouvrir un vrai débat philosophique sur le devenir sociétal d’un peuple et d’une nation. Les uns et les autres se font exclure, délégitimer, voire insulter. Incapable de saisir que la démocratie passe par la définition des frontières entre la société civiles et le politique, une bonne part du tissu associatif se fait de gré ou de force absorber par le politique de tout bord pour en devenir l’instrument. Chose qui a largement entravé la stabilisation des énergies en présence entravant l’évolution progressive vers l’équilibre sociétal. Or, nous savons qu’en dehors de cet équilibre, nous ne pouvons escompter de redressement socio économique ou de transition vers un modèle social plus équitable. Cette dépendance entre pouvoir et contre pouvoir nous enseigne qu’en dépit de l’agressivité de l’offensive du pouvoir contre le peuple et la nation, le citoyen s’avère dans l’impossibilité d’infléchir la tendance. Il continue à en subir les effets à plus d’un titre, cherchant vainement la voie de l’auto régulation. Mais cette voie semble encore lointaine. Primo, l’opposition politique semble n’être qu’opposition de façade, en effet, en dehors des quelques mises en scène en publique, dans les coulisses du Bardo, les uns et les autres dont davantage préoccupés par le partages des avantages pécuniaires et autres que par les urgences sociales dont les 25% des tunisiens vivant au dessous du seuil de la pauvreté. Le partage des dividendes est loin de ne toucher qu’aux aspects les plus immédiats. Les transactions politiques externes occasionnant de fréquents déplacements à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ont priorité à la pleine implication dans les travaux de l’assemblée, et ceci malgré les urgences nationales.
Entre-temps le citoyen continue à s’interroger sur un devenir devenu au fil des mois, de plus en plus flou. Flou, face auquel même la société civile semble impuissante. Ayant récemment consacré un article à l’impérative dissociation entre pouvoir et contre pouvoir, perçue à mon sens comme préalable à toute fédération entre les différentes composantes de la société civile, j’étais saisie par l’incapacité de certains compatriotes pourtant engagés dans la dynamique d’après le 14 janvier, de comprendre les préalables à toute mutation vers un mode de société participatif garantissant les conditions d’accès à la démocratie. (2)
Le décalage intellectuel entre ce qui prévaut en Tunisie et entre ce qui a été révélé depuis longtemps par plus d’un penseur spécialiste des sociétés arabes, confirme la crise philosophique tunisienne. Des penseurs arabes contemporains dont je cite le marocain Mehdi Elmenjra et l’égyptien Samir Amin tirent depuis des années la sonnette d’alarme mettant en garde la région arabo musulamne des risques d’une explosion sociale fatale, incitant à la pro activité et à l’impérative optique endogène, sans laquelle aucune rupture avec le post colonialisme de sera possible. L’un et l’autre, mettent en garde des risques irréversibles au cas où les mutations sociales ne parviennent pas à rompre avec les politiques privilégiant l’exogène à l’endogène. Mehdi Elmanjra cite les conséquences de la privation délibérée de la possibilité de s’approprier intelligemment et intelligiblement les richesses endogènes, et en tout premier lieu la richesse humaine gaspillée à outrance depuis des décennies, pour ne pas dire depuis des siècles.
Force est de constater que la stratégie de gaspillage des matières grises tunisiennes ayant été à ce point sournoisement planifiée, qu’elle s’avère aujourd’hui la cause principale du détricotage intellectuel de notre société. La situation que nous vivons depuis 16 mois en est une illustration manifeste et sans appel. Le tunisien qui s’est cru libéré, après la chute de ZABA, se découvre de jour en jour otage d’acteurs rués sur le pouvoir obsédés par l’instauration d’un patriarcat difficilement délogeable. Le pathologique de la situation tunisienne réside moins dans cette soif de pouvoir des acteurs en place, que dans l’absence de mouvement d’idées et de conscience collective tunisienne croyant en sa capacité d’infléchir le cours de sa destinée. Le tunisien est encore loin de réaliser qu’il s’est laissé délibérément offert par ignorance en pâture aux prédateurs ayant planifié le cahot de longue date, en se faisant dans les coulisses les complices de l’ennemi de la liberté et de la dignité.
La crise actuelle tunisienne était bien prévisible au vu du cahot dans lequel a plongé toute la classe politique, dès les premières semaines de l’après chute du pouvoir zaba. Dans un article que j’ai rédigé il y a plus d’une année et que j’ai intitulé « Election et méritocratie » (3), je mettais en évidence les risques auxquels s’exposait le pays, au cas où la tendance à l’hégémonie du parti unique n’est pas traitée rationnellement, tant par le restant de la classe politique que par le peuple et en tout premier lieu l’élite. En effet, la focalisation de élite sur les faux débats importés de part et d’autres, a faussé la lisibilité de la donne, au point que les priorités et les urgences ont été et continuent à être reléguées au dernier plan. L’élite n’a pu saisir l’occasion que lui a offert la révolte populaire, pour se défaire de ses complicités stériles qui l’ont maintenue depuis des décennies dans un état de suivisme et d’esclavagisme intellectuel, tel qu’elle s’empêchait de prendre la relève pour accompagner de manière endogène la mutation sociétale en marche. L’élite a préféré donner priorité aux débats importés, qui étaient loin de faire partie des objectifs du soulèvement populaire tunisien. Face à la déroute par laquelle le pays est passé tout au long du mois de mai 2011, dans laquelle l’élite tunisienne toute tendances confondues avait brillé par sa lâcheté, je ne puis m’empêcher d’appeler les méninges de se faire le bon remue. Se faisant complice d’un crime prévisible contre la nation, le mercenariat intellectuel a vendu la cause du peuple à ses maîtres. Plus d’un indicateur nous indiquait depuis plus d’une année que le crime était en train de cuir à feu doux dans les coulisses, et dans lequel chaque partie en présence escomptait avoir le plus gros morceau des dividendes.
Face à la cruauté de cette espèce de lâcheté naturelle que le système zaba a réduit en ruines utilitaristes, le cri de ras le bol inévitable s’est imposé fin mai dans un article que j’ai intitulé « Intellectuels, secouez-vous les méninges avant que ce ne soit trop tard !!! », pour tenter de secouer le mercenariat s’étant fait le bras droit du complot politique. (4) A l’évidence, le tunisien est moins victime des forces en lisse, qu’il n’est otage de lui-même. S’interdisant sa difficile quête d’une révolution de l’esprit, il a préféré se maintenir dans le narcissique égocentrique assassin. Qu’il appartienne aux sphères dites élitiques ou aux autres strates de la société, il n’a pu pallier au déracinement ancestral qui continue à lui infliger une espèce de sentiment d’insécurité telle qu’il se laisse ôter toute fibre humaniste. Alors que dans son inconscience le tunisien a cru avoir démontré un certain 14 janvier au monde entier qu’il est un peuple uni, il ne cesse de se découvrir jour après jour fanatique, intolérant, atomisé et proie à toutes formes de déliance sociale, culturelle, intellectuelle,… Oui, c’est là où réside le mal. Tant que le tunisien y persiste, il ne pourra espérer un meilleur sort que celui qu’il se réserve à lui-même. La meilleure illustration du mal tunisien nous est donnée par se silence de mort, face au sort réservé par toute la nation à ses braves. Les blessés continuent à être ignorés, les assassins de nos martyres se sont évaporés dans la nature, alors même que les comités de quartier en avaient saisi plus d’un groupe transmis à l’armée. Et pourtant on ose encore nous dire que ces tireurs d’élite n’ont pas existé. Que peut-on donc espérer d’un peuple qui accepte de sombrer dans l’amnésie?
« لا يغير الله ما بقوم حتى يغيروا ما بأنفسهم.
Le tunisien n’a d’ennemi autre que celui qui l’habite, l’empêchant de se défaire de ses chaînes. Tant qu’il n’ose transgresser ses propres pièges pour s’attaquer à son atomisation, il ne pourra palier à son état de déliance sociale. A défaut de cette transgression, ce serait un leurre que d’espérer un quelconque bouillon de culture. Le malaise qui se fait de jour en jour des racines plus profondes, est la conséquence de la rupture de la société avec le peu de références dont elle disposait avant l’avènement de ce qui est appelé à tort transition. Cette rupture est renforcée par l’absence de dynamique intellectuelle catalyseur de l’acceptation de l’autre. Alors que l’heure devrait être aux collaborations et à la création de synergies, les tunisiens continuent à se percevoir en adversaires, ennemis voire en menaces. La logique de partenariat étant encore loin d’intégrer le mental tunisien, la construction de l’œuvre commune via l’enrichissement des apports mutuels s’avère de l’ordre de l’impossible.
Ce n’est qu’en se donnant la chance de découvrir l’autre dans ce qu’il renferme comme patrimoine latent de richesses, ce n’est qu’en cessant de percevoir dans l’autre l’auxiliaire déformé par le regard subjectif qui en fait à tort un être inférieur, que l’on apprendra non seulement à le découvrir, mais surtout à sonder en soi sa propre richesse. Sans relations symétrique, pas de réciprocité et donc pas de chance de mettre le patrimoine de la richesse humain eau service de la nation. Telle est la voie de la transcendance, de facto porte ouverte aux synergies, lesquelles sont la chance d’une démultiplication à l’infinie de la valeur ajoutée humaine, dont notre pays a tant besoin.
En omettant la préservation et le bon usage de son patrimoine neuronal, ce sont toutes les autres richesses dont regorge notre pays que le tunisien dilapidera, en les laissant s’évaporer dans la nature. Rongée par cette espèce incurable de complexe d’infériorité, vis-à-vis de ses paires étrangers, le tunisien se plaie en se faisant le mercenaire occasionnant à la nation un double préjudice. D’une part, il se livre en proie facile à qui sait lui infliger la soumission perpétuelle, porte ouverte à l’esclavage des matières grises, qui continue depuis des décennies à faire des dirigeants comme des peuples une population hiérarchisée d’esclaves. D’autres part, les esclaves de premier rang, fort de leur acceptation par les maîtres du complot planétaire, se livrent à un vandalisme sans limites contre la richesse humaine, pour la contraindre à assister passivement au pillage des richesses naturelles, dont elle se fait le plaisir d’offrir en cadeau aux maîtres en guise de remerciement. Ainsi, l’œuvre esclavagiste sera parfaite.
La prédominance d’une telle configuration depuis des mois en Tunisie, nous indique que les obscurantistes installés au pouvoir ont joué à fond la carte du mercantilisme. Forts de l’appui des maîtres, nos richesses sont cédées au dessous des tables, et toute tentative d’en dénoncer les abus, est taxée de volonté de déstabiliser la nation. Le mercenariat a tendance à étouffer les quelques voix nobles humanistes encore disparates, qui peinent à se doter d’une assise à la hauteur des risques. L’esprit mercantiliste, est guidé par essence par le sens de l’intérêt et de l’individualisme placés au sommet de la hiérarchie des valeurs. C’est à cet individualisme, que nous pouvons aisément attribuer l’extrême émiettement politique, et la sclérose élitique, qui par effet d’entraînement ont cultivé l’esprit d’opportunisme prévalant à présent du haut au bas de la hiérarchie sociale.
La déliquescence et la déconfiture généralisée à tous les niveaux, ont entravé l’émergence en Tunisie de tout charisme à la hauteur du défit, tout comme la pensée philosophique susceptible de faire émerger tel charisme. Ayant passé au peigne fin le paysage politique se présentant aux élections du 23 octobre 2011, le charisme patriotique ayant cruellement fait défaut, j’y ai consacré un article où il était question d’en décortiquer les causes. « Un Homme d’Etat, Ca ne s’improvise pas! Ca ne pousse pas par Génération spontanée ». (5)
Au vu de l’évidente dialectique mouvement d’idées/émergence et développement de leader, l’absence du mouvement n’a pu donner chance à la révélation du leader patriote, indépendant apte ç se préserver de tout risque de de mercenariat, privilégiant ses propres intérêts et les intérêts d’acteurs exogènes à ceux de la nation et du peuple. La Tunisie continue aujourd’hui à être à la fois orpheline de penseurs aptes à proposer le nouveau modèle sociétal en adéquation avec les aspirations du peuple, tout comme du leader patriote tant attendu par la mère patrie en souffrance, après la maltraitance qui lui a été infligée par les coulisses des pouvoirs de transition successifs. Maltraitances qui se sont rajoutées à celles qu’elle avait subi pendant les longues années de vandalisme du pouvoir déchu, et qui font que la complexité des interactions avec l’environnement externe occupe une place centrale dans le cours des évènements.
Le peuple continue jour après jour à être pris de court, au point qu’il ne parvient plus à lire les tenants et les aboutissants des nouvelles qui lui tombent dessus comme foudre: de la rencontre entre leaders nahdhaouis et zaba, en passant par l’annulation du mandat d’arrêt contre le déchu et les membres de sa famille, sans oublier la réhabilitation de complices confirmés. Alors que des voix commencent à se lever appelant au retour de zaba, l’on apprend la libération de plusieurs auteurs et complices de la mafia déchue. Bien que le scénario de la réhabilitation progressive de certains criminels et complices était prévisible, en raison de la sclérose des esprits et de l’émiettement de la société civile, rein n’a été entrepris pour amortir la tendance. Ayant pointé les dérives de nahda, dont plus d’un indice nous indiquait sa tendance à vouloir imposer aux tunisiens la réhabilitation des criminels, après qu’elle n’ait cueilli les dividendes de la chute de zaba, j’ai consacré au mois de mars et avril deux articles dénonçant la grave insulte dirigée contre un peuple qui s’est vu confisqué le fruit de ses sacrifices. Le premier article rédigé le 7 mars intitulé « Sous auspice d’El Saoud, Jbéli concocte un accord pour acquitter les Ben Ali/Trabelsi » (6) a été suivi par un second rédigé le 9 avril après le rejet par Interpol du mandat d’arrêt contre zaba, suivi de la réhabilitation de personnes complices incontestables du système déchu. (7) 9 avril 2012. Histoire d’une nation et d’un peuple sacrifiés. Et après?
Force est de constater que le tunisien peine encore à se défaire de la logique égocentrique et narcissique fondement de tout pouvoir dictatorial, niant au peuple le droit à la justice, à la dignité, à la liberté et à l’équité. S’étant à ce point ancrée dans la conscience collective tunisienne malade à son tour d’égocentrisme et de narcissisme pathologique, cette logique empêche l’émergence de la dynamique intellectuelle qu’exige la complexité de la conjoncture. Il est connu que toute collectivité humaine ne peut vaincre sa sclérose et ses crises, en l’absence d’un mouvement d’idées générée par la crise d’abord, et par son propre salut en dernier ressort. Le mouvement devant être par essence une dynamique philosophique, ayant pour finalité ultime la construction évolutive d’une œuvre collective et multiple, se nourrissant de ses propres ingrédients, à travers un esprit de collaboration, non prédéfini, mais surtout guidé par la ferme volonté des acteurs qui la composent, d’infléchir leur destinée et la destinée de toute la collectivité à laquelle ils appartiennent. Le préalable à une telle construction de l’œuvre collective, c’est la transcendance et le profond sentiment humaniste, qui fait de l’engagement une initiative désintéressée. C’est ce préalable qui fait cruellement défaut en Tunisie, et dont l’absence continue à exposer le pays à de futures épisodes douloureuses, au cas de non manifestation dans les jours avenir d’un sursaut citoyen à la hauteur du défi.
Seize mois après le soulèvement populaire tunisien, et malgré l’inflation des associations, la société civile peine à s’imposer en pilier de l’indispensable mutation sociétale. Pour cause, sa difficulté à se tisser en réseau dont l’objectif ultime est de devenir le contre pouvoir, en l’absence duquel tous les mercenaires politiques continuent à se considérer le champs libre pour poursuivre en toute quiétude, leur opérations de vandalisme des dessous de table, au mépris de l’aspiration du tunisien à la dignité et à la liberté. La société civile peine à voler de ses propres ailes. Déroutées pour l’essentiel et manquant d’expérience, ses différentes composantes se font volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment l’otage de dépendances politiques assassines qui en rendent toute démarche intelligible quasi impossible. Malgré cet état des faits, la coalition citoyenne apte à s’ériger en front et en groupe de pression apte à assumer ce que le mercantilisme de l’opposition politique s’est avéré dans l’incapacité de faire, tarde à prendre forme. Force est de constater qu’en l’absence d’un front citoyen à la mesure des abus du pouvoir en place, en perte de ses repères, le peuple est désabusé et désillusionné de l’allure exponentielle à laquelle lui est confisquée toute possibilité de garder le contrôle sur sa destinée. Ceci est d’autant plus vrai, que des acteurs sans nulle légitimité se font déjà l’alternative incontournable sans se sentir le devoir de rendre compte, voire sans accepter le rappel à l’ordre des voix qui tiennent jalousement à la souveraineté de la nation et au droit du peuple à l’auto détermination.
Outre la vague déferlante des obscurantistes, outre les marchandages de dessous de table de l’opposition, depuis quelques mois, nous assistons au retour en force d’une personnalité qui se disait pourtant vouloir prendre sa retraite. Nous aurions pu passer outre la légitimité de l’homme en question au vu du vide politique, mais les excès ont pris une dimension telle que le devoir d’honneur notre patrie et ses braves nous impose de rappeler à BCS les limites qu’il n’est autorisé à franchir. Si tel il le prétend, BCS souhaiter vraiment se faire le rassembleur désintéressé dans le seul objectif de sauver la patrie de l’obscurantisme, il devrait commencer par avoir l’humilité de demander le pardon quant à son passé. Si BCS avait vraiment l’intension de respecter les aspirations du peuple à la dignité et à la liberté, tant qu’il n’est mandaté par ce peuple pour assumer sa destinée, il devrait avoir la décence de ne pas s’approprier la destinée de ce peuple. D’où, il doit stopper dans l’immédiat toutes ses transactions de coulisses avec ses complices. Les acteurs ayant adhéré à son initiative ont le devoir de suivre leur maître au pas, pour stopper ses complicités avec les ennemis de notre liberté, sinon l’histoire les inscrira comme complice d’un crime contre une nation et un peuple. Monsieur BCS n’a aucune légitimité de parler au nom du peuple et de la nation. Donc qu’il se fasse bien les limites que lui impose l’honneur de notre chère mère patrie et de son brave peuple.
Nul acteur politique ne peut se prétendre être remède à l’obscurantisme ambiant, quand il use à son tour des mêmes moyens et complices de l’obscurantisme ambiant. Monsieur BCS, de grâce, assez d’avoir insulté et méprisé le génie, l’honneur, la mémoire et les aspirations du brave peuple tunisien. Notre détermination est inscrite dans notre ADN. Ayez donc la modestie de vous incliner devant cette richesse historique ancestrale. Nôtre devoir et le vôtre doivent être avant tout la préservation de notre histoire de l’intrusion des bâtards outre atlantiques obsédés par l’idée d’effacer toute trace de l’histoire humaine ayant préexisté au méga projet d’extermination des peuples, dont le point de départ n’était autre que le saccage des civilisations pré colombienne à commencer par les incas et les mayas.
A tous les adeptes de l’initiative BCS, je ne peux que réitérer le même propos exprimé dans mes précédents articles consacrés à ce que devrait être la voie du tunisien vers son auto détermination. (8) – (20).
(1) Le maître d’ouvrage est la personne, morale ou physique, publique ou privée, propriétaire ou affectataire d’un patrimoine immobilier. Il doit assurer la bonne gestion à la fois prospective et curative de son patrimoine. Il effectue la programmation des opérations nouvelles pour lesquelles il doit raisonner en coût global sur la durée de vie du patrimoine. Il peut confier la conduite d’opération à un prestataire. Le maître d’oeuvre est la personne, morale ou physique, publique ou privée, chargée de traduire en termes techniques les besoins du maître d’ouvrage et de les faire réaliser (conception des cahiers des charges, passation des marchés et rédaction des contrats, surveillance des travaux et des prestations, réception des ouvrages…).