A la recherche du temps à gagner

Le discours du premier ministre ne parvient probablement pas à se faire plus lisible que les précédents, par manque de clarté et en dépit de l’insistance de l’orateur sur ce même souci de faire dans la transparence. La question pour moi n’est pas l’homme individu mais bien le premier ministre en tant que chef du gouvernement provisoire. Ma première réaction est celle d’un citoyen qui, sans forcément de ‘gros’ préjugés, essaye de comprendre et le discours et ses motivations profondes.Je dois dire que, contrairement à la nature de tout discours gouvernemental qui se doit d’être explicite pour l’essentiel, le discours du mardi 6-9 du premier ministre impose plus qu’il ne propose.

Outre le ton quelque peu trop autoritaire dans sa forme comme dans sa structure, le discours me semble plus suggérer l’instabilité et semer la crainte, donc nourrir le doute, que parvenir à rassurer le tunisien de tout bord. Si tel est le cas – et c’est en toute bonne raison mon impression générale- c’est précisément parce que ce discours fait exactement, par son ton comme par ses allusions, le contraire de ce qu’il annonce devoir faire: rassurer les tunisiens.

Il n’y a pas nécessairement d’a-priori politique quant à la personne elle-même mais c’est de la personne publique – chef du gouvernement et de son dernier discours qu’il est ici question.

Quelques remarques s’imposent:

A vouloir rassurer et surtout faire exposé parlant de l’unité du gouvernement et des instances paragouvernementales ou juridques, l’écran fait apparaîtrre au rang des invités des ministres, des présidents de comités, le général Rachid Ammar et, bien entendu, des journalistes. Cela peut bien avoir réussi à mettre en vitrine une certaine forme d’unité tout autant que le cadre ‘très officiel’ du discours et, en premier plan, l’importance toute particulière de l’intervention. Le premier ministre en dit d’ailleurs long et en direct à l’introduction; à savoir que cette intervention arrive en tout imprévu au moment où le gouvernement devait parler d’autres préoccupations. Il y a là et à tout oeil nu un désir de focus pour, tout bonnement suggérer l’importance et de l’évenement et du propos, sans toutefois rater l’occasion d’afficher les ‘exploits’ ou ‘accomplis’ du gouvernement. De par ce tour de style qui n’est pas des moins efficaces, politiquement, le Premier ministre balaye le terrain pour un suspens qu’il nourrira à coups de répétitions.

Le problème de fond, n’empêche, demeure: Le discours manque tellement de clarté ‘politique’ qu’il ne peut ouvrir que sur des spéculations de tout ordre. La question est tout simplement la suivante: Pourquoi faut-il chaque fois ne parler à ce peuple – tout en le faisant en son nom – qu’à moitié? N’y a -t-il pas en ceci un paradoxe de nature plus que de degré? N’est-il pas toujours plus intéressant, y compris du seul point de vue politique, de ne le laisser de décalage entre le moyen affiché du discours – le souci de transparence et de parler au peuple – et la pratique même du même discours, en fond comme en méthode.

A se laisser hausser le ton en articulant de façon très marquée le terme INQILAB ‘Coup d’état’, la voix du premier ministre se rendait expressément alarmante. C’est tout simplement contraire à l’esprit de rassurance qui devait motiver, du moins en apparence, son intervention.

La présence des personnalités mises en affiche n’est pas non plus de toute assurance dans la mesure où ce sont des personnalités qui, justement, ne font pas l’objet de tout accord national; voire qu’elles font l’objet de controverses aujourd’hui de plus en plus ancrées dans le paysage interrogatif. En ceci, leur présence, voulue fonctionnelle, n’est pas forcément au R.V de ses visées discoursives et, bien clair, politiques. A moins que cela ne s’est fait que dans le seul choix de dire: voilà mon équipe de choix et qui n’accepte d’autre suggestion ou alternative. Il serait d’ailleurs très intéressant de voir quelle sera la réaction officielle de M. Kamel Jbali à se voir consentir d’évidence sur des propos dont il est ici témoin d’office; y compris pour ce qui relève d’abord de ses compétences propres et de celles du comité qu’il préside.

En tout état de cause, M. le premier ministre affichait un ton de guerre en un moment qui devait être de paix, relative soit-elle.

Loin de penser que c’est l’intention de l’orateur, il est tout de même remarquable de noter à la même marge et au même propos que le discours se donne chaque fois à de la provocation à mon sens inutile;, qu’il s’agisse des propos relatifs à la journaliste et de la kaaka ou autres questions, de l’adjectif appliqué à certains membres de la garde nationale ou encore de la façon même de traiter du syndicat de la police et, au -delà, de toute action syndicale.

Il se peut bien que M. le premier ministre tire ou tient à tirer ces ‘façons’ de faire et surtout de dire d’une certaine idée qu’il se fait de sa responsabilité et de son rôle. Qui rappelera au premier ministre que personne de cet Etat n’a été élu et que cela devait donc appeler tout membre en exercice à davantage de modestie.

En établissant de propos un contraste entre fkhaar bakri, le sien et celui de sa génération, il me semble que notre premier ministre oublie qu’une révolution qu’il n’a pas faite l’a porté à la fonction et que cette révolution est d’abord celle des jeunes.

Là encore, on pourrait bien supposer que l’expression va tout particulièrement à l’adresse de la garde nationale dans ses versions les plus solides. Mais s’agit-il là encore d’établir des contrastes ou oppositions qui risqueraient bien de faire en tout temps mauvaise tâche d’huile?!

Qu’il y ait de l’instabilité sociale est un problème d’abord politique et non point que de sécurité. Les tunisiens ont bien le droit de savoir ce qui se passe dans leur pays et c’est forcément la faute des média mais aussi de l’Etat si bien de ce qui se passe dans le pays ne s’apprend qu’à tout retardement, par des chaines et radios étrangères ou encore par bruits courants; voire rumeurs. Le devoir de tout Etat, élu ou provisoire, est d’abord et en tout lieu le devoir de verité. En assurant en toute pratique, à commencer par celle du gouvernement, la liberté de l’information, la Tunisie vaincra ses peurs et les tunisiens comprendrond mieux ceux qui les gouvernent. A s’user à faire dans l’allusion et l’illusion, l’ETat perd de ses moyens et motive toutes formes de contestation par là même où il suppose devoir national que de la contenir.

En tout usage du flou comme en tout maintien du vague, le climat se laisse sombrer de nature et de faits dans l’incertitude sociale et politique. A persister à faire usage d’appartenance politique déclarée à titre d’argument, il semble échapper au premier ministre l’essentiel de la nature même de la fonction qu’il occupe: Son faible pour Bourguiba et dont il fait itération et usage est à mon sens très révélateurd’une attitude de pratique politique et peut se laisser saisir en termes intentionnels – secouer ce qui reste dans les instances (notamment de l’ancienne garde nationale) comme dans la population du bourguibisme et c’est un appel semi-couvert-, mais telle n’est pas la nature convenue de la fonction: ce gouvernement est là pour gérer les affaires du pays et non pour dicter des préférences politiques. En ceci il s’érige une contradiction particulièrement importante:le besoin de neutralité (relative soit-elle) de la fonction de premier ministre provisoire et de gouvernement non élu d’une part, et l’affichage de choix politiques, voire idéologiques remontés du passé le plus loin, d’autre part. Le propos qui s’ensuit est donc: ou ce gouvernement est tel qu’il se doit d’être en ces circonstances, c’est à dire plus ou moins NEUTRE ou qu’il ne fait que de la politique bourguibiste; auquel cas les références à feu Bourguiba ne seraient que propagande politique par instance officielle en temps de préparation aux élections de la constituante.

Le citoyen novice que je suis suppose cette insistance excessive dans au moins une mesure; à savoir que la Tunisie n’a jamais eu de père de la nation et qu’au moins une partie importante de ce peuple ne peut persister à ne voir son avenir que sous les seuls angles de son passé. Que l’individu aime ou n’aime pas Bourguiba est une chose, que le Premier ministre lui affiche autant d’amour ou de fidelité en est une autre. La première relève de la liberté de choix et d’expression, la deuxième de l’abus du pouvoir.Comme cela risque bien de soulever des lièvres; voire de verser de l’huile politique sur le feu de la division, il ne serait en effet que raison de tenir en la matière à la neutralité d’une fonction qui, plus est, est déclarée provisoire et tout à fait circonstancielle. Par souci de conciliation nationale, la Tunisie gagnera plus à respecter Bourguiba en ne l’impliquant plus dans l’actualité. L’homme, tout simplement, n’est plus. Ne serait-il pas respect plus grand que de le laisser se reposer en paix. Autrement, c’est le bourguibisme tout politique et là, toute référence ne serait qu’usage politique avéré.

M. le premier Ministre a tout le droit de pratiquer de l’humour à tout va ou tout vent, c’est encore un aspect qui se saisirait dans la distinction même du privé et du public mais traiter du référendum auquel, au nom même de la Tunisie qu’il semble vouloir devoir porter en sa seule personne, il s’oppose en s’étonnant surtout que 47 partis puissent s’accorder en Tunisie d’aujourd’hui là où il ne voit la chose que déjà trop difficile pour deux seules personnes n’est pas tout à fait de l’humour blanc! Que deux tunisiens n’arrivent plus à s’entendre est un diagnostic à la fois excessif et trop peu rassurant sur la ‘langue’ du premier ministre comme à l’oreille de tout tunisien! Pouvoir s’attirer les reflexes de 47 partis par deux mots est du domaine public et, pire, un regain de tension politisée. Et ce n’est encore que des provocations absolulement inutiles; sauf à révéler des choix politiques fixes et fixés. Là est tout l’aspect déstabilsateur du discours de M. le Premier ministre.

Ce discours est ou trop pressé ou trop clair mais, paradoxalement, par ses non-dits.

Enfin, c’est probablement le lieu de rappeler que Bourguiba s’adressait toujours à un peuple qu’il supposait analphabète et qu’il devait donc éduquer. C’était il ya un peu plus d’un demi-siècle. Est-ce encore par amour de Bourguiba que d’agir de même en 2011, à la suite d’une grande révolution? Ce serait comme admettre que Bourguiba n’a rien fait pour rélever le ‘niveau’ instructif ou politique de ce peuple; bref, ce serait ne faire que faire usage politique de Bourguiba! Cela peut bien se faire dans un livre – et tant mieux pour son auteur – mais certes beaucoup moins dans tout discours de Premier ministre provisoire.

Des voix se lèvent déjà pour dire que ce discours lance encore beaucoup mieux de ‘mauvaises’ hypothèses qu’il n’avance de nouvelles idées. De certains y voient déjà une menace à la liberté d’expression, d’autres de nouvelles contraintes sur le droit à l’action politique, voire à l’action syndicale de par cet humour qui n’a pas épargné quoiqu’en bribe intercalée l’UGTT; et d’autres encore une attitude très ambigue quant au devenir même des élections au cas où ce discours de ‘siège’ ne serait que les débutds couvertement annoncés de la présence de plus en plus jugée par l’orateur nécessaire; voire vitale pour la sécurité du pays. Que pourrait signifier – ou mieux qu’est-ce qui pourrait justifier – la référence à la coopération nouvelle des deux Etats provisoires de la Tunisie et de la Libye dans un discours qui n’est en principe annoncé que de politique intérieure?

Je ne saurai imaginer qu’il y a déjà en Tunisie quelque crainte civile de nature à penser déjà prioritaires des explications de politique étrangère et me contenterai en la chose de ma rassurer moi-même en admettant que ce n’était probablement qu’une digression qui tenait à appeler les journalistes à un certain ‘ordre’; ce qui n’est pas non plus de nature à m’assurer dans la conception qui se dégagerait dans ce cas du rôle et surtout de la liberté de la presse. Le premier ministre appelle enfin très ouvertement la presse à faire des efforts!! Est-ce dire qu’elle est aujourd’hui appelée, de son point de vue et dans cette même logique de critique multiple et d’essence générique, à faire plus écho des choix du gouvernement ? Se demander face à un public de journalistes s’il y avait des journalistes dans la salle, c’est un peu comme demander à un boulanger s’il vendait du pain. L’appel, n’empêche, est lancé à ce même public et au-delà.

Disons que ce n’était pas, dans l’ensemble, ce que le grand public attendait d’un discours qui s’est voulu, par tous critères, imposant! Qu’il y ait du ‘dégage’ en l’air ne ferait que compliquer davantage une situation de moins en moins gérable. M. le premier ministre m’a l’air d’avoir cette fois mieux réussi à soulever des grandes questions de ‘FOI’ qu’à fournir des petites réponses de FOND.

L’idée qui devait sous-tendre toute ambiguité en matière poliitique – et à plus forte raison sous la forme du discours – est que si ambiguité il y a – et il y a bien ambiguité aujourd’hui- c’est que celle-ci ne peut êtreque fonctionnelle et, donc, au service d’un projet que le discours cache en affichant qu’il le dit.Il n’y a en ceci de paradoxe dès lors que toute transparence affichée n’est au fond que déplacée tant elle s’affiche première dans le langage pour n’être que dernier souci dans la réalité de ce que ce même langage étouffe en non-dit et place en sous-entendu par toute la marge qu’il laisserait ce faisant dans chaque énoncé à son contraire.

Une version moins discrète de que cet article veut dire ne doit pas être trop loin de ceci:

– Afficher de la transparence de verbe est de nature stylistique comme c’est en général la caract »éristique de tout discours d’ETat. Il n’y a cependant pas transparence dès lors que l’information même qui devait goouverner ou motiver ce propos n’est pas donnée ou du moins qu’en version caricaturale.

Moins de transparence encore quand dire le souci de stabilité n’est pas au fond de nature à éviter d’ajouter aux motifs de l’instabilité.

Là où l’annonce du besoin de tenir inchangé les délais des élections suppose l’évacuation – en principe – de toute raison de déni ou de retard en la matière, laisser ouverte la porte à la possibilité du réferendum sème la confusion et davantage encore si ce référendum version gouvernementale porte non point sur les élections mais sur les compétences virtuelles de la constituante. Il ne peut ici encore y avoir quelque tissu de transparence factuelle.

le besoin militaire qu’affiche une présence plus que symbolique en annonçant béat le civil n’est pas forcément qu’une contradiction de forme.De certains y voient une menace ‘militaire’. Il faut dire que le discours, décor inclus, ne leur a laissé aucune chance d’exclure cette hypothèse.Situé dans son contexte évenementiel, la présence de la défense et de la justice concorde de forme sur les menaces de fond quant aux mesures et procédures à l’adresse des dits ‘singes’.

Provoquer les ‘agents’ de sécurité annoncée souci urgent en s’attaquant à leur union ‘symbolique’ que suppose leur formation syndicale, c’est non pas adresser des individus, comme le dit le discours en mots mais ne le fait pas en acte, mais un corps; ce qui n’est que de nature à ouvrir plus grande la porte des dissidences d’appareils, donc le risque encore plus grand de flou et d’insécurité.

Tout cela fera nuage. Sous ce ciel, la Tunisie n’aura de visage qu’autant qu’en dessine la volonté de ses yeux les plus clairvoyant(s)!VIVE LA TUNISIE EN MARCHE.

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